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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/44

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de Chateaubriand, si l’on s’en rapporte aux insinuations malveillantes de l’auteur des Mémoires de Sainte-Hélène, et le pessimisme n’entra pour rien dans ce changement de batteries. On trouverait également des raisons n’ayant rien de commun avec le pessimisme dans cette célèbre conversion de Lamennais, qui lui fit terminer en philosophe l’Essai sur l’indifférence, qu’il avait commencé en apôtre. La continuité du travail de la pensée sur un même sujet suffit pour nous amener à le voir différent de ce qu’il nous avait paru d’abord. Les contradictions sont d’ailleurs toutes naturelles aux tempéraments passionnés, qu’ils appartiennent à la classe des vifs ou à celle des ardents.

Nous venons déjà d’effleurer la question de la désharmonie entre les sentiments et l’intelligence : l’auteur montre fort bien qu’elle a elle-même pour origine l’hyperesthésie. Celle-ci entraîne une grande vivacité d’imagination, tout au moins d’imagination intuitive, car l’imagination constructive provient d’autres causes : il en résulte, au point de vue du sentiment, « l’exagération des tendances idéalistes, c’est-à-dire de cet ensemble plus ou moins systématisé de sentiments affectifs et d’images qui constitue ce que chacun appelle son idéal ». L’idéal du pessimiste, en fait d’amour ou de bonheur, est irréalisable, parce qu’étant affecté par les plus petites causes de douleur, et son esprit produisant avec la plus grande facilité des associations pénibles, il ne possède pas ce contrepoids d’éléments représentatifs qui, chez un individu d’une sensibilité moyenne, se mêleraient à la masse générale des sentiments. Mais, tout en sachant que son idéal est irréalisable, il ne peut laisser de le désirer et de le poursuivre : ce déséquilibre intérieur le trouble et projette sur tous ses phénomènes affectifs une teinte sombre.

Une autre conséquence de cet idéalisme excessif se produit au point de vue logique ou métaphysique : c’est la manie du doute, le besoin de creuser, de se poser à propos de tout un incessant pourquoi : pourquoi la vie, pourquoi le besoin d’amour et de bonheur, etc., etc. ? Or, il se trouve incapable de résoudre à sa satisfaction l’éternel problème. Il reste dans l’indécision, même en affirmant la prédominance du mal, par la crainte d’errer ou l’impuissance de se maintenir ferme entre le pour et le contre. Ce désaccord logique se retrouve dans son esthétique : il lui est impossible de localiser objectivement ses sentiments idéalisés. Le pessimiste répugne à trouver les qualités belles dans les êtres réels, et il s’obstine à les chercher dans des êtres idéaux. Ces qualités, quand il les trouve quelque part, n’existent pour lui que comme partie de l’idéal rêvé. « Pour Flaubert, la plus belle église serait celle qui aurait en même