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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/439

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REVUE GÉNÉRALE. — le spiritisme contemporain

l’Est a un ton doux, onctueux, tout particulier ; il se considère comme le seul représentant de la religion dans un siècle d’immoralité et d’athéisme. Il vient offrir une consolation et une foi à tous ceux qui trouvent répugnantes les pratiques des cultes officiels[1]. La Revue spirite de Berlin présente aussi « le spiritisme comme le sauveur de l’humanité, seul capable de la retirer du gouffre de l’incrédulité, de l’égoïsme et du matérialisme[2] ». La théosophie emprunte aux anciens Hindous leur gigantesque panthéisme ; les êtres après mille pérégrinations viendront tous se fondre en un seul, qui sera Dieu ; « ce que peut être ce tout formé de toutes les individualités, dit M. Sinnett, ce que peut être ce genre d’existence entièrement différent et nouveau, traversé par ces mille myriades d’individualités fondues en un, voilà la question sur laquelle les plus grands penseurs non initiés ne peuvent jeter la moindre lueur[3] ». Malheureusement, les penseurs initiés se gardent bien de nous révéler sur ce point leurs divines méditations ; cela est bien regrettable.

Les doctrines seront naturellement plus précises sur la théorie de l’immortalité de l’âme. En général les spirites sont forcés de l’admettre à peu près tous : « la survivance des âmes sera devenue, grâce à nous, une hypothèse scientifique et non une théorie métaphysique[4] ». Mais les contradictions commencent quand il s’agit de préciser la nature de cette immortalité. Les Kardécistes admettent la réincarnation des âmes dans de nouveaux corps, « cette réincarnation dans des conditions déterminées doit être considérée comme une véritable sanction morale ; sans doute nous n’avons pas le souvenir de nos existences antérieures, mais il serait trop triste et fatal à notre progrès… Cependant nous avons actuellement des goûts, des dispositions innées qui ne s’expliquent que par ces existences antérieures[5]. » Suivant d’autres, la réincarnation n’est pas déterminée par la sanction morale, elle dépend du choix absolument libre des esprits[6]. Les immortalistes, au contraire, ces spirites libéraux qui se trouvent en Hollande, en Amérique, dans les pays protestants, refusent absolument la réincarnation, « cette espèce de métempsycose[7]. » Ils font valoir des arguments qui me paraissent intéressants : « Supposons que Jean soit mort et que son esprit avec son périsprit se soit réincarné dans l’individualité de Pierre, actuellement vivante. Que se produira-t-il si on évoque Jean par les procédés de la nécromancie ou du spiritisme[8] ? » Autre argument plus grave encore : « Le dogme de la réincarnation est dangereux, car il inspire

  1. Journal spirite de l’Est, 1890, 19.
  2. Spiritualistiche blätter, janv. 1889.
  3. Nus, op. cit., 109.
  4. Vie posthume, février 1887.
  5. Journal spirite de l’Est, 1890, 20.
  6. Revue spirite, 1891, 1.
  7. Congrès spirite, 305.
  8. Initiation, 1890, 107.