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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/440

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aux esprits dépravés le désir de se procurer à tout prix un corps nouveau et il est à craindre qu’ils n’aillent obséder les petits enfants et les femmes enceintes[1]. » Une discussion sur ce point aurait été bien remarquable, malheureusement elle est écourtée ; les Kardécistes se contentent de répondre à leurs adversaires américains qu’ils refusent la réincarnation par orgueil de race, de peur de revenir au monde dans le corps d’un petit noir[2]. La question est encore pendante.

Les théosophes font un beau tableau de l’immortalité et de la réincarnation qui quelquefois est grandiose. Après la mort, nous avons en apparence l’oubli le plus complet de notre existence misérable et nous recommençons à nouveau des efforts qui ont été souvent si imparfaits et si malheureux. « L’oubli fait table rase de nos vices, de nos souvenirs insignifiants pour nous permettre d’avancer en nous allégeant du poids de nos fautes[3]. » Mais après des milliers d’existences semblables nous parvenons à ce degré de spiritualité où se déroule sous nos yeux le chapelet de toutes les existences passées. Nous parviendrons ainsi au paradis, au dévakhane. « La vie dévakhanique n’est pas seulement la récompense de tout le bien que nous avons semé dans notre vie, mais encore la réalisation de celui que nous avons rêvé pour les autres et pour nous-mêmes[4] », et peut-être parviendrons-nous après des milliers de séries d’existences et de dévakhanes à former des esprits supérieurs, des Dhian cohans, ces génies qui président à l’évolution des mondes et qui sont des atomes de l’unité divine. Et dans chaque discours les adeptes cherchent à expliquer, à rendre possible ce beau rêve hindou ; ils distinguent la personnalité, cette forme passagère et transitoire que l’ego revêt à chaque incarnation nouvelle, de l’individualité qui persiste pendant la série des existences [5]. « Les séries des vies humaines sont enfilées comme le seraient des perles à un seul et unique fil, et les renaissances et les morts périodiques sont analogues à la veille et au sommeil[6]. »

Pour comprendre l’immortalité et pour soutenir leurs thèses, les spirites doivent adopter une théorie particulière sur la constitution de l’homme. Aussi n’est-il pas de sujet plus fréquemment traité et qui leur inspire plus de rêveries. L’homme d’Allan Kardec était bien simple : une âme, un corps et entre les deux un périsprit que l’on ne cherchait pas à comprendre, et qui servait à tout expliquer. Mais depuis quelque temps notre nature semble s’être bien compliquée. Allan Kardec n’était pas assez scientifique, nous dit-on ; il faut raisonner mieux que lui. La science nous enseigne que le spectre renferme sept couleurs or il est évident que l’homme ressemble beaucoup au spectre

  1. Congrès spirite, 306.
  2. Nus, op. cit., 209.
  3. id., ibid., 93.
  4. id., ibid., 95.
  5. Rev. spirite, 91, 175.
  6. Lotus bleu, 91, juillet 25.