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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/48

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exactement que possible le départ de ce qu’il peut y avoir d’originel ou d’acquis dans l’irritabilité ou la morosité individuelle.

Peut-être le pessimiste ne se sépare-t-il pas autant qu’on le prétend de la catégorie des normaux et des sains. Et s’il fallait exactement marquer en quoi il fait exception, est-il bien sûr qu’on doive l’expliquer, comme le fait M. Magalhães, par une neurasthénie confinant à celle des « dégénérés supérieurs » ? Le pessimiste n’est pas toujours intelligent, quoi qu’il en dise. Pourquoi n’étudier que des pessimisants, des tristes « distingués », qui se sont peints eux-mêmes dans leurs mémoires ou dans leurs livres ? Il en est d’autres dans toutes les classes de la société, esprits chagrins, fâcheux, mécontents de la vie, et voyant de préférence les vilains côtés des choses. L’opposition de Jean qui pleure et de Jean qui rit est classique dans le populaire. Jean qui pleure est-il nécessairement un neurasthénique ? La neurasthénie conduit-elle nécessairement au pessimisme ? Je ne le crois pas.

S’il fallait absolument voir dans le pessimisme une variété de neurasthénie, on pourrait du moins ne pas la caractériser avec autant de précision que M. Magalhães, qui en fait purement et simplement une neurasthénie affective. Voici quelles sont ses raisons pour la qualifier ainsi. Il refuse d’admettre des maladies de la volonté, estimant que les altérations de cette dernière sont toujours consécutives et non primitives : c’est un débat à vider entre lui et M. Ribot. Quand à l’altération de l’intelligence, pense-t-il, elle est à peine la conséquence parfaitement naturelle de l’altération du sentiment. Il me semble pourtant avoir quelque peu prouvé le contraire, à propos de la désharmonie entre les sentiments et l’intelligence. Aussi bien, s’il faut, avec lui, attribuer l’hyperesthésie à un éréthisme exagéré des cellules cérébrales, est-il probable que cette anomalie se limite aux fonctions émotives du cerveau ? Je me borne à poser la question sans la résoudre dans un sens ou dans l’autre.

III

J’arrive à la thèse de notre compatriote, M. le Dr Huyghe. Ici, le mot de pessimisme n’est pas prononcé une seule fois, mais l’état mental dont il s’agit ressemble parfaitement à ce qu’on appelle aujourd’hui de ce nom. L’altération pathologique, qui est l’envers de ces états mentaux, est évidente. Elle porte un nom particulier ; son étiologie est décrite avec toute la précision désirable c’est l’arthritisme, une diathèse morbide embrassant dans son cycle un assez