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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/47

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b. perez. — la maladie du pessimisme

à forme dépressive. Dans la première prédominent toutes les énergies propres à repousser la douleur, et la tendance à l’inaction caractérise la seconde. Byron, Swift, Schopenhauer, sont cités comme exemples du premier cas ; Maine de Biran, de Sénancour, Amiel, du second. Ce ne sont d’ailleurs là que des degrés de prédominance alternante ; les deux dispositions existent chez tout le monde, et, dans la majeure partie des cas, elles se balancent.

Quoi qu’il en soit, la faiblesse de la volonté se montre, dit l’auteur, d’une façon ou d’une autre, chez le pessimiste. Elle se combine avec le dégoût de la vie réelle, et il en résulte la rêverie, « espèce de protestation des énergies comprimées contre la pesante stagnation du cœur inassouvi. » C’est la plupart du temps un songe sans issue, accompagné d’une objectivation intense, dans lequel l’esprit s’abandonne à un heureux automatisme, et au délicieux sentiment de son identité avec la nature. Cet état de rêverie profonde et habituelle confine au mysticisme religieux, qui se résume plus ou moins dans la restriction de la conscience, l’abolition de la personnalité, l’anéantissement de la volonté. Ce don de rêverie et d’objectivité, l’auteur le trouve développé d’une manière excessive chez Amiel, et plus modérément, chez Byron, Obermann, de Sénancour, Baudelaire, Flaubert. Sur ce point encore on pourra n’être point tout à fait d’accord avec M. Magalhães. Si c’est là un caractère habituellement signalé chez les pessimistes, on le constate aussi bien chez des gens tout simplement doués d’une grande sensibilité et d’une vive imagination, sans rien de morbide ou d’anormal. Ainsi Lamartine et George Sand, rêveurs par excellence, idéalistes, la seconde même avec une pointe de mysticisme, et doués l’un et l’autre d’un assez grand pouvoir d’objectivité, n’en étaient pas moins des optimistes, en dépit de leurs tristesses réelles ou littéraires, et du désordre passionnel de leur vie.

Nous sommes donc en droit d’exiger de nouvelles preuves, et un appoint plus considérable de faits, pour accorder que toutes les altérations de caractère attribuées au pessimiste sont des phénomènes pathologiques. Il semble, au surplus, qu’on peut avoir quelques doutes sur la rigueur d’une assimilation embrassant des personnages aussi divers que le furent Flaubert, Amiel, et les autres : leur pessimisme n’a certainement pas les mêmes couleurs. L’auteur a déjà dit, je le sais, que la diathèse morbide diffère un peu de ton suivant les caractères et les tempéraments. Il faudrait, en tout cas, tenir compte, plus qu’il ne l’a fait, des impressions de l’enfance et de la jeunesse, des milieux divers où elles s’écoulèrent, et de toutes les autres circonstances de la vie et du régime, et faire, en somme, aussi