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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/538

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Quand on a conçu l’être comme un et immuable, ainsi que le fait Spinoza, on est condamné à l’acosmisme. Donc c’est Héraclite qui avait raison : le mouvement est partout, dans les phénomènes et dans leur principe. Il faut que l’absolu même marche, devienne et se transforme ; autrement, l’existence du monde phénoménal demeure incompréhensible. Il s’agit maintenant de rechercher si cet absolu multiple et mobile, cette cause substantielle et pourtant soumise à la loi du devenir, par laquelle seule les phénomènes paraissent explicables, se retrouvent dans la conception métaphysique à laquelle nous a conduit l’étude de la vie. Or, il le semble, car l’être vivant, tel qu’il nous est apparu, a précisément les caractères que, en dehors de tout système particulier, on doit, comme nous venons de le montrer, reconnaître à la cause métaphysique des phénomènes. Ainsi, ioin d’être compromises par suite du rejet du mécanisme universel et de la finalité intentionnelle, l’unité du monde phénoménal et la causalité sont formellement reconnues, et paraissent solidement fondées dans la doctrine que nous défendons. Nous avons nié qu’il y ait entre tous les mouvements qui se produisent dans l’univers une connexion mécanique. On ne doit pas s’en étonner maintenant ; car, après tout, une connexion mécanique est une relation d’ordre phénoménal, et l’unité du monde n’est pas phénoménale, mais métaphysique. Si donc nous avons rejeté la dépendance universelle des phénomènes entre eux suivant l’ordre phénoménal et scientifique, c’est qu’il était nécessaire de la rejeter pour assurer aux phénomènes une connexion et une dépendance bien autrement nécessaires dans l’unité métaphysique et substantielle de l’être vivant. Quant à la causalité de ce même être vivant, elle est aisée à comprendre. Le vivant est la cause métaphysique et, par conséquent, la cause effective et réelle de tout ce qui se produit dans son corps : c’est-à-dire que chaque vivant, ayant pour corps l’univers tout entier, est, par son unité métaphysique, la cause de tous les phénomènes de l’univers en tant qu’ils appartiennent à ce corps. Cette thèse sera jugée paradoxale par plusieurs ; c’est pourtant, en partie du moins, une simple thèse de sens commun. Nous disons constamment : je marche, je digère, je pense : que désigne, dans notre pensée, ce je qui revient ainsi à tout moment comme sujet et comme cause de nos opérations de tout ordre, sinon l’homme lui-même considéré dans l’unité métaphysique de son être ? Il est vrai que nous ne disons pas : Je me meus, en parlant du mouvement des étoiles ; mais il y a à cela des causes qu’il n’est pas difficile d’apercevoir ; et si les raisons qui ont été données pour prouver que le corps propre à un vivant se prolonge à l’infini dans le corps universel et s’identifie