Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/585

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de la piqûre ; elle n’en était donc pas la « cause ». Elle est fonction du dehors et non pas seulement du dedans. Si, au contraire, j’ai l’idée et le désir de prendre la plume pour écrire ma signature au bas d’un contrat, le changement de position de ma main, avec l’ensemble de sensations motrices répondant à ce changement de position, me paraît avoir son antécédent immédiat et suffisant dans mes états antérieurs de conscience, qui sont : 1° l’idée de ce mouvement comme moyen pour telle fin, 2° le désir de ce mouvement. Je me conçois ici comme agissant, c’est-à-dire conditionnant des phénomènes par mes idées, par mes désirs, par les mouvements cérébraux ou musculaires qui les accompagnent.

L’ensemble des changements ayant ainsi leur condition dans la conscience antérieure forme un tout continu par opposition à la vicissitude discontinue des sensations adventices. En encadrant ce tout dans les formes du temps et de l’espace nous nous le représentons comme un ensemble de mouvements ayant leur condition dans notre cerveau. Nous avons donc en définitive, outre la conscience sensorielle, une conscience qu’on peut appeler active et motrice. Je me sens non seulement à l’état de changé, mais encore en train à’être changé (passivité) et de changer quelque chose dans le temps (activité) et simultanément dans l’espace (activité motrice).

Ceux qui nient ce dernier aspect intérieur, s’en tiennent au point de vue statique : ils considèrent des états de conscience donnés et achevés, et négligent le point de vue dynamique des idées-forces, c’est-à-dire les états de conscience en train de se produire et de changer, avec le sentiment de la transition et la possibilité de concevoir le temps. De plus, ils méconnaissent l’autre point précédemment marqué : que toute transition, tout changement a deux directions possibles, puisque, dans l’un des cas, nous voyons l’antécédent du changement, dans l’autre, nous ne le voyons pas.

Ces considérations qui précèdent montrent combien il est inexact de se figurer l’idée-force comme « une sorte d’entité, sortant tout armée de notre cerveau, venue spontanément à la conscience avec une vigueur lui appartenant par essence (1) ». Dans ce cas, une idée-force serait comme un objet détaché doué d’une certaine quantité de force toujours identique ; elle aurait « un pouvoir immanent, irréductible, inexistant sans elle, lui appartenant en propre (2) ». Or, c’est précisément ce que nous nions. Nous n’entendons point par idées des espèces d’atomes psychiques, analogues aux « idées simples »