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de Locke ; nous ne croyons point que tout ce qui se passe en nous soit une combinaison de certains éléments simples de conscience, qui resteraient toujours les mêmes, avec un certain quantum de force immanente. C’est là une conception atomistique de l’esprit qu’on retrouve chez Locke et chez Herbart, mais qui n’en est pas plus admissible. En premier lieu, il n’y a aucun état de conscience réellement simple ; tout état de conscience est la résultante d’un ensemble prodigieux d’actions et de réactions entre nous et l’extérieur, et il a pour corrélatif la totalité des mouvements qui, en un moment donné, s’accomplissent dans le cerveau. Cette résultante est spécifique, originale en raison même de sa complexité, mais elle n’est pas pour cela simple à la manière d’un atome indivisible et homogène. Des états de conscience vraiment simples seraient indiscernables comme les atomes mêmes, qu’on discerne uniquement par leur position dans l’espace et dans le temps. On aurait beau combiner de mille manières des atomes psychiques, on n’en ferait pas sorlir un plaisir ou une douleur, une pensée, une volition. En second lieu, les divers états de conscience et les diverses idées ne sont pas, selon nous, doués d’une force détachée « leur appartenant en propre » ; leur action est celle même de la conscience tout entière, dont ils ne sont que les formes et manifestations actuelles, en raison composée de l’activité intérieure et des activités extérieures.


1. Voir l’article de M. Banville sur l’Idée et la Force dans la Revue philosophique du lor octobre 1891.

2. Ibid.

III.

— Une nouvelle preuve de l’existence de la volonté et du caractère réactif qu’elle confère à tous les états de conscience, c’est la tendance à projeter au dehors nos représentations. Outre qu’elles enveloppent toutes, plus ou moins, un élément extensif qui s’oppose à l’élément intensif, nos représentations sont encore toutes plus ou moins affectées, pour notre conscience, d’extériorité. Au contraire, nous ne projetons point au dehors et nous nous attribuons nos voli-tions. C’est, nous venons de le voir, qu’au lieu de tomber en nous à notre grande surprise et de pénétrer du dehors au dedans, elles se développent du dedans au dehors : elles sont pressenties dans leurs motifs et mobiles, elles sortent du groupe antérieur de représentations et d’impulsions. Elles n’ont de rapport avec l’espace, de caractère extensif, que par le but extérieur auquel elles tendent, par la représentation de tel effet à atteindre dans l’étendue ; en elles-mêmes, elles n’apparaissent qu’avec un caractère d’intensité. Il est donc légitime de les considérer comme déploiement d’une activité interne, non comme un simple complexus de sensations passives et externes.

C’est sur cette différence même et sur elle seule que peut se fonder