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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/59

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j.-m. guardia. — philosophes espagnols de cuba

plus arriérée jusqu’à l’extinction des ordres religieux, en 1835. Près d’un quart de siècle de retard.

Le précurseur de la philosophie moderne à Cuba, don Félix Varéla y Moralès, né à la Havane le 20 novembre 1788, était un jeune prêtre qui avait fait ses études au séminaire de Saint-Charles. Il eut pour maîtres des hommes d’un mérite et d’un savoir distingué : le Dr Augustin Caballero y Ramirez, le licencié O’Gavan, les docteurs Veranes et Cernadas. Le premier détermina sa vocation pour la philosophie ; le dernier fut son modèle pour l’éloquence. Un prêtre et un dominicain l’initièrent à l’art de penser et de bien dire. Ses progrès furent rapides. En 1811 il concourut pour la chaire de latinité et de rhétorique du séminaire, avec un tel succès, que l’évêque Espada lui accorda la dispense d’âge avant qu’il n’eût reçu la prêtrise. Le jeune professeur fit marcher de front les humanités, la philosophie, les sciences et en particulier la chimie et la physique, exposant, démontrant et expérimentant. Son amour de l’enseignement en fit un précieux auxiliaire de la Société patriotique, fondée en 1793, dans un tout autre esprit que l’Université, modelée sur celles du xvie siècle. Le collège-séminaire, fondé en 1692, renouvelé en 1769, peu de temps après l’expulsion des jésuites, par le règlement d’un prélat éclairé, représentait l’ancienne Faculté des arts. On y enseignait la logique, la métaphysique, la physique expérimentale, l’éthique et la cosmographie. L’enseignement se donnait en latin. Tout changea avec l’évêque Espada et le jeune professeur Varéla. Les premières conclusions de la classe de philosophie se résumaient en cette thèse : « La meilleure philosophie est la philosophie éclectique ». Elle veut, cette philosophie, que l’on suive la raison et l’expérience, que l’on apprenne de tous sans s’asservir à personne. Ces conclusions imprimées en 1812 préludèrent à un autre travail un peu plus long (25 pages in-4o) publié à l’occasion des examens de fin d’année, avec cette épigraphe de Virgile qui fait penser à Lucrèce :

Felix qui potuit rerum cognoscere causas.

On y proclame qu’en physique, l’expérience et la raison sont les sources de la connaissance. Ce programme (elenco) ne renferme pas moins de 226 propositions embrassant le cours complet de philosophie. Ce fut le premier manifeste de la philosophie moderne de Cuba. Les propositions furent soutenues par un jeune homme de seize ans, D. Nicolas Manuel de Escobédo, qui devait être, malgré sa précoce cécité, le plus illustre orateur de la Havane. Cet écolier d’élite travaillait en particulier sous les yeux de son maître. Un jour qu’il lisait tout haut, il interrompit sa lecture, et demanda : À quoi bon cela ? Padre Varela, para que sirve esto ? Le maître avoue que la question le fit longuement réfléchir, si bien que son enseignement se transforma. Quelque temps après, il soumit le programme de son cours à l’évêque Espada, juge très compétent. Le prélat le parcourut et dit à son secrétaire :