Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/590

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ce ne sera plus qu’une question de mots. Une fois arrivé à l’analyse du plaisir et de la peine, vous ne comprendrez plus qu’un être jouisse ou souffre, soit favorisé ou contrarié, si vous ne lui attribuez pas une direction antécédente et conséquente vers un certain but, sinon connu, au moins senti ; or, c’est ce processus même que nous appelons nppétition, volonté, vouloir-vivre, tendance à persévérer dans l’être et le bien-être. Tout psychologue est obligé, même quand il prétend n’admettre que des sensations, soit nouvelles, soit renouvelées, — d’admettre encore que l’être vivant n’est pas neutre entre ses sensations, qu’il y a toujours sélection de l’une plutôt que de l’autre, un choix non intellectuel au début, mais spontané et inévitable, par conséquent un vouloir.

Les modernes partisans de la sensation transformée profitent de ce que, d’une part, les sensations superficielles des cinq sens, ou du moins celles de la vue, de l’ouïe et du toucher, sont devenues aujourd’hui presque indifférentes, presque des sensations pures et en apparence passives, tandis que les sensations organiques et celles mêmes du goût ou de l’odorat enveloppent clairement émotion et réaction ; ils brouillent le tout et supposent des sensations isolément passives, indifférentes même, qui, combinées, produiraient : 1° l’apparence de l’activité ou de la volonté, 2° la réalité du plaisir ou de la douleur. Mais, d’abord, l’ordre suivi par les partisans exclusifs de la sensation est juste l’opposé de l’ordre véritable. Au lieu de prendre pour point de départ, en effet, et pour type de notre élément primitif les sensations à peu près indifférentes et contemplatives des sens supérieurs, derniers venus dans l’évolution, il faut, au contraire, prendre pour élément primordial la sensation organique, profonde et générale, encore à peine différenciée dans des organes spéciaux. Or, la sensation organique, vitale en quelque sorte, n’apparaît pas comme un état tout passif, sans ton émotionnel et sans réaction appétitive : elle est, au contraire, plaisir ou peine, propension ou aversion ; elle est faim ou soif, appétit sexuel, blessure, etc. Elle constitue donc un complet processus psychique avec ses trois moments inséparables : 1° modification subie et sentie par un discernement immédiat, 2° plaisir ou peine, 3° réaction vers l’objet ou à l’opposé de l’objet. Si c’est là ce qu’on entend par sensation, on pourra en effet tout expliquer par la sensation ; mais si, comme on le doit, on réserve le nom de sensation pure à la modification passive de la cœnesihésie, qui est le premier moment du processus psychique, il deviendra impossible de ne pas tenir compte de la cœnesthésie entière qui est modifiée, du caractère agréable ou pénible de cette modification d’ensemble, enfin de la réaction immédiate