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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/7

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ch. dunan. — le problème de la vie

reste, les matérialistes les plus décidés ont reconnu la nécessité d’admettre dans les organismes une loi formelle, qui ramène à l’unité la multiplicité indéfiniment diffuse de leurs phénomènes élémentaires. « La conception de la nature, nous dit Lange, a tellement besoin d’un élément formel primitif, que cet élément est admis par Carl Vogt lui-même. Avec une précision que nous ne sommes pas habitués à rencontrer chez lui, cet écrivain, dans ses Tableaux de la vie animale, après avoir expliqué comment les premières formes reconnaissables de l’embryon sortent de l’agglomération cellulaire du vitellus de l’œuf, déclare que « ce n’est qu’avec l’apparition de la forme qu’est donné ici encore l’organisme comme individu ; tandis qu’auparavant existait seulement la matière informe[1] ». Et Lange ajoute que « cette proposition de Carl Vogt le rapproche beaucoup d’Aristote ». Il est vrai que les matérialistes, pour ne pas se voir contraints d’abandonner tout à fait leur thèse favorite, prétendent faire dériver les lois morphologiques des propriétés de la matière ; mais peu importe pour le moment. Il nous suffit qu’ils les reconnaissent comme autonomes par rapport aux lois physico-chimiques, et comme irréductibles à ces dernières ; car cette irréductibilité est la seule chose que nous ayons en vue à présent. Voici donc, en définitive, ce que la science nous apprend au sujet des conditions générales d’existence des êtres vivants. Dans un vivant, tous les phénomènes obéissent rigoureusement aux lois physico-chimiques de la matière ; mais, de plus, ils subissent l’action coordonnatrice de certaines lois formelles différentes des premières, et dont l’objet est de réaliser cette unité par laquelle seule la matière vivante se distingue de la matière brute. Il reste maintenant à rechercher comment l’accord de ces deux séries de lois peut se comprendre. Il ne semble pas que la science positive puisse, dans cette question, nous prêter aucun secours ; son rôle est terminé après qu’elle a reconnu l’existence de deux séries de lois et leur irréductibilité. Mais il est des savants qui se hasardent parfois sur le terrain de la métaphysique ; et même il n’en est guère qui sachent se garder complètement de ce genre d’ambition. Comme ce sont, pour la plupart, des esprits très positifs, il y a toujours grand profit à s’initier à leur manière de voir, lorsque soi-même on craint les chimères. Nous allons donc, abandonnant la science, mais non pas les savants, demander à ceux-ci comment, à leur avis, pourrait se résoudre le problème métaphysique qui nous intéresse.

Parmi tous les savants, celui qui a le mieux compris la vérité

  1. Histoire du matérialisme, t.  II, p. 276.