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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/8

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scientifique du dualisme des lois de la vie, et qui a le plus contribué à les faire admettre, c’est CI. Bernard. C’est donc CI. Bernard que nous devons consulter en premier lieu. On peut dire que le dualisme dont nous parlons a été la préoccupation dominante de l’éminent physiologiste pendant toute sa vie il y revient sans cesse dans ses principaux ouvrages ; ni vitalisme, ni matérialisme, voilà en quelque sorte le dernier mot ne son système physiologique. Pourtant, s’il est d’une fermeté absolue sur l’affirmation du dualisme même, il faut reconnaître que sa pensée devient assez vague et obscure lorsqu’il en vient à se demander comment les lois morphologiques peuvent avoir action sur les phénomènes de la vie sans rompre en rien le déterminisme des lois physico-chimiques. Il admet un plan organique, mais non pas une intervention active de quelque principe vital. « La seule force vitale que nous pourrions admettre, dit-il, ne serait qu’une sorte de force législative, mais nullement exécutive. » Et il ajoute « La force vitale dirige des phénomènes qu’elle ne produit pas ; les agents physiques produisent des phénomènes qu’ils ne dirigent pas[1]. » Mais comment comprendre qu’une puissance législative, qui n’est exécutive en rien, puisse se faire obéir ? Comment comprendre que la force vitale dirige des phénomènes sans concourir en rien à leur production, et que les agents physiques produisent des phénomènes sans déterminer en rien leur direction ? De pareilles assertions ne nous ramèneraient-elles pas tout droit à cette thèse de Descartes, aujourd’hui condamnée, qu’il est possible de changer la direction d’un mouvement sans produire soi-même du mouvement ? Il semble donc que CI. Bernard, en essayant de concilier deux nécessités opposées, n’ait réussi qu’à mettre en évidence leur hostilité irréductible. Pourtant il faut bien qu’un accord s’établisse entre elles. Ce qui rend la difficulté insoluble pour CI. Bernard, c’est évidemment la supposition implicitement faite par lui que le vivant, en imposant à son propre corps la forme organique, et surtout en s’assimilant des corps étrangers par la nutrition, donne à toute cette matière sur laquelle son action s’exerce des directions et des impulsions qu’elle n’avait pas par elle-même. Cette manière de voir certainement défectueuse s’accuse de la façon la plus nette dans un curieux passage de l’Introduction à la médecine expérimentale où l’auteur compare l’action du principe organisateur sur les phénomènes physico-chimiques de la nature à une force « qui va chercher dans une boîte des lettres qui y sont confondues pêle-mêle, pour exprimer les pensées ou les mécanismes les plus divers[2]. Dans un

  1. Leçons sur les phénomènes de la vie, t.  I, p. 51.
  2. P. 162.