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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/72

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Les mathématiciens sont conduits, dans l’étude de certains problèmes, à substituer aux quantités dont ils cherchent les relations, certaines séries d’autres quantités en nombre indéfini. De telles séries, ne sont, en réalité, que des quantités indéterminées dans une certaine mesure. Deux caractères les définissent : 1o elles ne sont jamais égales à la quantité qu’elles remplacent ; 2o leur différence avec celle-ci tend vers zéro.

Comme exemple je citerai la série 0,333. qui sert parfois à représenter la quantité 1/3. Aucune des quantités 0,3, 0,33, 0,333, etc., ne peut être égale à la quantité 1/3, mais les différences avec 1/3 tendent vers zéro, à mesure qu’on considère un plus grand nombre de termes dans la série[1].

Supposons maintenant que l’on cherche, par la voie des séries, la somme des quantités et Au lieu d’additionner directement ces deux quantités, ce qui donnerait , on additionne alors les séries 0,333, et 0,0909 dont elles sont les limites, c’est-à-dire qu’on additionne les termes correspondants de ces séries, et qu’on forme ainsi, avec les diverses sommes, une autre série, 0,4242…, représentant une quantité indéterminée qui est toujours différente de la véritable somme cherchée. C’est ce que l’on prouve dans les traités d’analyse, et l’on prouve en même temps que, quoique cette somme cherchée ne soit égale à aucune des déterminations particulières de la séria 0,42…, elle est cependant égale à sa limite, qui est .

D’une manière générale, dans la méthode des séries, on opère sur des quantités indéterminées, au lieu d’opérer sur des données déterminées ; on obtient ainsi des résultats indéterminés, qu’on remplace, en fin de compte, par des quantités déterminées. La seule condition d’exactitude du résultat final est que, dans ces substitutions, la connexion entre les quantités indéterminées et les quantités déterminées soit celle d’une série à sa limite. Il faut, en outre, que les indéterminées satisfassent entre elles aux relations de condition qui lient les données ou à des relations qui aient celles-ci sous limite.

Il y a donc, comme l’a fait remarquer d’abord Lagrange, puis Lazare Carnot, au sujet du calcul infinitésimal[2], une compensation d’erreurs, grâce à laquelle la conclusion définitive se trouve exacte.

  1. Par définition, la quantité 1/3 est dite la limite de la série ; une série peut contenir toutes les quantités possibles, ou un nombre indéfini de quantités, mais jamais sa limite, c’est-à-dire qu’aucune des déterminations particulières, en nombre indéfini, qui constituent une série, n’est égaie à la limite de la série. La série est un ensemble d’où ta limite est exclue. La série contient tout ou partie des valeurs d’une variable, sauf la limite même de cette variable.
  2. Réflexions sur la métaphysique du calcul infinitésimal. — Tout ce qu’a écrit Carnot sur l’Analyse, la Géométrie et la Mécanique est empreint d’un véritable esprit philosophique qu’on ne trouve plus malheureusement dans la science d’aujourd’hui.