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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/71

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VARIÉTÉS


LE PROBLÈME D’ACHILLE


Bien qu’on ait cherché maintes fois à mettre au jour le sophisme contenu dans le principal argument de Zénon d’Élée contre la possibilité du mouvement, il ne me semble pas qu’on se soit souvent placé sur le vrai terrain. Les métaphysiciens et les mathématiciens sont également gênés, les uns par leur ignorance des principes de l’Analyse infinitésimale, les autres par la trop grande habitude qu’ils en ont.

M. Frontera, qui vient de publier sur la question une spirituelle brochure[1], tombe sous le coup des critiques que j’adresse à ses confrères. Dans sa réfutation de l’argument de Zénon, il passe d’une série à sa limite sans s’apercevoir que c’est précisément là où gît véritablement la difficulté signalée par Zénon[2].

L’argument de Zénon ne prouve pas l’impossibilité du mouvement[3] ; il n’a même rien à voir en cette question, mais il constitue une critique de l’emploi, en analyse, des séries convergentes, et, au fond, du principe fondamental du calcul infinitésimal.

Pour simplifier, je m’en tiendrai aux séries convergentes ordinaires ; mais ce que j’ai à dire s’applique aussi à ces séries convergentes continues qu’on appelle, en analyse, les différentielles et les intégrales.

  1. Étude sur les arguments de Zénon d’Élée contre le mouvement. Paris, Hachette, 1891.
  2. M. E. Milhaud, dans son intéressant dialogue sur la notion de limite, si je le comprends bien, évite la difficulté d’une autre manière, en déclarant que te fait d’atteindre une limite est une chose étrangère aux mathématiques (Rev. philos., n° 187).
  3. On a souvent greffé sur cet argument de Zénon, des discussions d’ordre métaphysique sur le temps, l’espace et le mouvement. Ces discussions ont paru subtiles aux mathématiciens ; pour ma part, je leur trouve une certaine utilité. Elles montrent qu’en prenant pour point de départ l’hypothèse des métaphysiciens que le temps et l’espace sont des notions a priori et irréductibles, on arrive par un raisonnement exact à des conclusions en désaccord avec les faits.