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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/77

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ANALYSES.f. pillon. L’Année philosophique.

Sans doute il a gardé de Kant la direction générale de sa méthode, la théorie de la connaissance dans ses grands traits, le rôle prépondérant attribué à la morale, l’impératif catégorique, les postulats de la Raison pratique, etc. Mais, d’autre part, il rejette définitivement la substance, qui subsiste chez Kant sous la forme malheureuse de la chose en soi ou du noumène. Loin de déclarer la liberté inconcevable et indémontrable, incompatible dans le monde des phénomènes avec le déterminisme qu’y impose la loi de causalité, loin de la rejeter comme objet de croyance, dans le monde nouménal, M. Renouvier se flatte d’en donner une idée positive et même une démonstration suffisante ; il renouvelle en même temps la théorie du jugement et de la certitude, etc. Phénoméniste par la méthode, idéaliste par la doctrine, le criticisme relève à la fois de Hume et de Kant. Il a prétendu éliminer la substance et les facultés qui n’encombrent pas moins le kantisme que l’éclectisme, tout en donnant à la science et à la morale un solide fondement a priori.

Une cause encore a contribué, non moins que l’effort de la pensée originale, au succès de cette doctrine nouvelle : c’est l’accent qui l’anime, et auquel on ne se trompe pas. Les âmes ne se donnent qu’à l’âme. Le criticisme n’est devenu une école véritable que parce qu’il a eu la vertu de se les attacher. Ses adversaires mêmes rendent justice au caractère mâle et énergique de la doctrine, et nul de ceux qui les ont lues n’a pu oublier les fortes réflexions, vraiment dignes d’un philosophe, que les événements de 1870 ont inspirées à M. Renouvier. Dans le domaine de la spéculation philosophique (domaine étroit, mais qui en commande d’autres, plus étendus), le criticisme a agi sur les âmes, et s’est efforcé de leur redonner du ressort. Il n’est pas jusqu’au caractère résolument dogmatique du système qui n’ait servi à en augmenter l’action. Ce caractère est rare aujourd’hui dans les doctrines purement philosophiques, et la confiance va facilement à celle qui s’exprime avec décision, et qu’aucune arrière-pensée ne retient dans sa lutte pour ce qu’elle croit être la vérité et la justice.

Pour suppléer sans doute en quelque mesure au défaut de la Critique philosophique disparue, M. Pillon a repris une publication qu’il avait commencée autrefois, mais depuis longtemps interrompue. Sous le titre de l’Année philosophique paraîtra dorénavant chaque année un volume contenant deux parties : l’une, composée de travaux originaux ; l’autre, qui rendra compte des ouvrages philosophiques parus en France dans le cours de l’année. Le premier volume de l’Année philosophique nous offre, outre cette bibliographie, trois études importantes dues à MM. Renouvier, Pillon et Dauriac.

M. Renouvier, en quarante pages pleines « de suc et de moelle » traite de l’Accord de la méthode phénoméniste avec les doctrines de la création et de la réalité de la nature. Il réunit là, sous une forme serrée et pressante, les raisons que fait valoir sa doctrine pour éliminer l’idée de substance et pour y substituer celle de loi ; il trouve dans