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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/78

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l’histoire des systèmes philosophiques une éclatante confirmation de sa thèse. Retournant contre la substance les arguments mêmes que ses partisans ont coutume de faire valoir, il montre que la méthode phénoméniste n’enlève aux êtres rien de ce qui fait leur réalité, que c’est, au contraire, la supposition d’une substance, derrière les phénomènes, qui conduit inévitablement à ôter aux êtres finis toute existence et toute activité propres ; enfin, que le déterminisme universel et une métaphysique panthéistique sont pour ainsi dire la conséquence nécessaire du substantialisme. Il suit à travers l’histoire les conceptions substantialistes, qui ont peu changé au fond, malgré les apparences contraires : on les retrouve dans le transformisme ordinaire et dans le mécanisme atomistique des modernes comme dans ceux des anciens. Chemin faisant, les principes de la philosophie évolutionniste, et particulièrement la Force (l’Inconnaissable ou l’Absolu de M. Spencer) sont soumis à une courte mais pénétrante critique. D’autre part, la substance conçue à la façon des Éléates est aussi suivie jusque dans ses formes contemporaines, avec le déterminisme et le panthéisme qu’elle entraîne. « En somme, que l’on s’adresse à la théologie ou à la philosophie, on voit que l’idée de substance objectivée, réalisée, a toujours été l’adversaire intestin des doctrines de la personnalité divine, de la création et de la liberté, et cela, de quelque genre d’attributs que l’on fît usage pour la définition d’un sujet primordial. » Même les premiers auteurs de la critique de l’idée de substance n’eurent pas l’esprit complètement affranchi du préjugé du réalisme substantialiste : ni Locke, dont l’analyse est pourtant « admirable », ni Berkeley qui démontre avec tant d’évidence l’absurdité de la substance matérielle, ni Hume enfin, qui, après avoir si bien prouvé l’inanité de la notion de substance, s’avoue incapable d’expliquer l’unité et l’identité de la conscience, et se croit obligé de soutenir la thèse de l’universelle nécessité. Kant à son tour reperd une partie du terrain conquis par ses prédécesseurs, et en particulier par Hume. Il se défend d’être idéaliste. Sous le nom de noumène et de chose en soi, il refait une place à la substance. Aussi est-il responsable, dans une certaine mesure, des doctrines panthéistiques et nécessitaires qui prirent leur point d’appui sur la Critique de la Raison pure, au commencement de ce siècle. Le substantialisme spiritualiste reparut aussi, et naturellement, en face de lui, le substantialisme matérialiste.

Que faire donc ? — Comprendre enfin ce qu’enseigne toute l’histoire de la philosophie profiter, comme ont fait les savants, de l’expérience acquise. À force d’échecs, les physiciens ont désappris de poursuivre les substances et les causes pour se borner à la recherche des lois. Que les philosophes cessent aussi de prendre une abstraction pour la réalité essentielle des êtres « puisqu’enfin subjectivement et objectivement la fiction des substances n’ajoute absolument rien à la notion des propriétés, rien à la connaissance et à l’explication des rapports ; il n’y a jamais que l’expérience d’une part, et de l’autre les formes générales