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Certains faits pathologiques peuvent aussi être cités à l’appui de cette théorie, qui voit dans la sensation la cause première de toute vie mentale ; surtout le cas observé par Strumpell d’un malade frappé d’anesthésie dans tous les organes des sens, excepté l’œil droit et l’oreille gauche. Lorsque M. Strumpell fermait l’oreille et l’œil sensibles du malade, en ôtant ainsi toute communication avec le monde extérieur, le malade cherchait en vain à provoquer des impressions acoustiques en frappant des mains ; puis après deux ou trois minutes les mouvements cessaient, la respiration et le pouls devenaient plus tranquilles ; toute vie psychique s’était éteinte dans le cerveau du malade, plongé dans un sommeil profond[1].

Lorsqu’il n’est pas ébranlé par les sensations, le cerveau se trouve donc dans un état d’inertie absolue. Or c’est sur cette inertie que les sensations viennent agir de même que les courants électriques ou les rayons du soleil agissent sur les atomes d’une substance chimique, en déterminant une nouvelle activité. Ce phénomène peut être observé en sa forme la plus simple dans la dynamogénie, c’est-à-dire dans cette excitation psychique générale que produisent des sensations très fortes. Tout le monde connaît par expérience les effets psychiques d’une musique ou d’un paysage rempli de lumière ; les images, les idées, les sentiments qui occupent dans le moment le champ de la conscience augmentent de vivacité : mais aujourd’hui, après les expériences de M. Féré, nous pouvons donner la démonstration scientifique de ce phénomène, si commun. « Toutes les sensations, écrit M. Féré, s’accompagnent d’un développement d’énergie potentielle qui passe à l’état cinétique et se produit par des manifestations motrices susceptibles d’être mises en évidence même par des procédés assez grossiers, comme la dynamométrie[2]. » M. Binet, étendant ses recherches à un champ vraiment psychologique, trouva que, si après avoir récité des vers à des sujets hypnotisés, il les réveillait et leur demandait si aucun souvenir ne leur en était resté, presque tous déclaraient ne s’en souvenir nullement ; mais s’il leur montrait un disque rouge, quelques débris de vers retournaient à la mémoire. De même certains sujets, absolument rebelles à toute suggestion hypnotique, s’y prêtaient plus facilement si on leur montrait le disque rouge ; et par le même moyen M. Binet réussit à donner une force nouvelle à des anciennes suggestions qui avec le temps allaient faiblissant. Dans tous ces cas, il est évident que la sensation agit comme agirait une substance chimique, l’alcool par

  1. Stefani, Fisiologia dell’ encefalo, p. 314.
  2. Féré, Sensation et mouvement, Paris, 1877, p. 51.