Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 38.djvu/53

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gissent avec le caractère du souvenir, nous jugerons que l’image considérée est ancienne. Remarquez qu’il faudra toujours à côté des images rappelées avoir dans la conscience des images nouvelles se formant à mesure : cela multipliera les points de comparaison. Plus il y aura d’images nouvelles nettes et vives, plus facilement nous distinguerons les anciennes. Si au contraire nous diminuons les images se produisant pour la première fois, il sera très malaisé de reconnaître les souvenirs, de les distinguer d’avec les quelques images nouvelles pour peu que celles-ci soient vives.

Revenons maintenant à la paramnésie. Dans tous les exemples rapportés par MM. Lalande[1] et Dugas, les idées, les images qui ont donné lieu à l’illusion du déjà vu, ont été des images vives, des idées frappantes. Voyez notamment le passage de Dickens cité par M. Lalande ; l’épisode de l’examen rapporté par M. Dugas. En outre, dans les cas rappelés il me semble évident que les sujets étaient dans un état particulier : ils étaient absorbés. Voyez les passages cités : Copperfield, Loti, le récipiendaire, etc., absorbés, mettons si vous voulez : distraits. « La distraction empêche les personnes d’apprécier aucune autre sensation en dehors de celle qui occupe actuellement leur esprit. »

Voyons ce que devient le cas de M. X., cité plus haut.

M. X., absorbé, distrait, perçoit à un moment donné quelques images visuelles et auditives nouvelles. Ces images surgissent dans sa conscience avec l’aisance, la facilité de l’habituel, du déjà vu. Par suite de son état de distraction, M. X. ne perçoit actuellement que fort peu d’images musculaires. Le champ de la conscience est momentanément très retréci, chez lui. Ses images nouvelles, intenses, aisées, n’ont à côté d’elles que très peu d’images nouvelles faibles servant de points de comparaison ; assez pourtant pour qu’il s’aperçoive de la possibilité d’une illusion. À mesure que le temps avance, à mesure que de nouvelles images s’ajoutent et se précisent, son illusion diminue. Un moment vient où le champ de la conscience renferme assez de représentations neuves pour que le doute disparaisse sur la nature du pseudo-souvenir. M. Dugas croit que la paramnésie se produit surtout durant l’enfance et la jeunesse. Je ferai observer que c’est surtout pendant cette période de la vie que le sens musculaire joue un rôle prépondérant ; que par conséquent la quasi-absence d’images musculaires à un moment donné devra singulièrement troubler le mécanisme psychique chez les enfants et les jeunes gens.

Puisse cette interprétation de la paramnésie, contribuer à faire rechercher l’interprétation des phénomènes psychiques sur un terrain plus solide que ne l’est celui de la télépathie.

Agréez, monsieur le Directeur, l’expression de mes sentiments les plus distingués.

J.-J. van Biervliet.
(Université de Gand.)
  1. Voir le numéro de novembre 1893.