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ou tel acte sans que nous le souhaitions et souvent, presque sans que nous le sachions ; il a fait singulièrement petite la place que tiennent dans la genèse des actes volontaires, les états purement représentatifs, les idées et surtout les images, dont il semble d’ordinaire oublier la naturelle efficacité motrice. Il nous semble impossible de souscrire à une affirmation comme celle que formule M. P. à la p. 36 : « ce que l’idée a de force exécutive lui vient presque toujours de son alliance avec les vraies puissances qui sont les états affectifs. » Admettre cette manière de voir qui ne s’appuie du reste sur aucune preuve démonstrative, c’est se condamner à ne pouvoir expliquer les mouvements volontaires les plus simples : l’antécédent normal d’un mouvement, c’est une image et si cela est vrai d’un mouvement isolé, cela est vrai également d’un acte, complexus de mouvements divers et aussi de cette série d’actes qui constitue la conduite d’un homme. Sans doute elle est déterminée dans son ensemble par un faisceau de tendances, coordonnées et dirigées, par des conceptions abstraites, mais chaque acte particulier est amené par la présence dans la conscience d’une image à un certain degré d’intensité ou par une sensation. S’il y a entre les émotions et les actes un fréquent parallélisme, ce n’est pas parce que les émotions sont les antécédents normaux des mouvements, mais parce que les représentations qui déterminent des réflexes musculaires, déterminent d’ordinaire simultanément ces réflexes vasculaires et viscéraux qui constituent la base physiologique des émotions. Encore cela n’est-il point une règle sans exception ; des actes qui nécessitent un très grand déploiement de force musculaire, s’accomplissent fréquemment, sans s’accompagner d’aucune émotion vive et lorsque l’émotion atteint quelque intensité, elle nuit plutôt qu’elle ne sert à l’accomplissement de l’acte. Il semble que M. P. n’ait pas toujours nettement distingué ces deux choses, si distinctes cependant, la vivacité de l’image et sa tonalité émotionnelle ; s’il avait porté plus d’attention à ces différences extrêmes d’intensité que l’on peut constater entre les représentations qui coexistent dans la conscience, il n’aurait point été sans doute aussi constamment contraint de recourir à l’intervention des états affectifs comme à l’unique source d’explication où l’on puisse légitimement puiser.

Mais si les images et les idées ont en réalité cette efficacité motrice que leur dénie M. P., il semble d’autre part que nous n’ayons pas sur elles cette puissance entière qu’il nous accorde libéralement. Sans doute, nous pouvons user de l’ensemble de moyens qu’il indique pour rendre plus intenses certaines représentations que nous désirons maintenir dans le champ de la conscience ou pour affaiblir les représentations antagoniques, mais il s’en faut que ces moyens soient toujours efficaces ; ce sont en réalité, dans la majorité des cas, les conditions extérieures où nous sommes placés qui font prédominer en nous telle ou telle série d’idées et d’images associés. Aussi faut-il avouer que notre éducation est toujours bien plutôt l’œuvre d’autrui