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que la nôtre, et que si nous pouvons nous modifier nous-mêmes, c’est surtout en modifiant les conditions dans lesquelles nous vivons.

Cette association artificielle elle-même des sentiments aux idées que recommande presque M. P. comme la méthode presque unique d’arriver à la maîtrise de soi, est sans doute un excellent procédé pour parvenir à se dominer soi-même, si on peut le mettre en pratique ; mais cela est singulièrement plus malaisé que M. P. ne le pense : il semble doué à cet égard d’une façon très exceptionnelle : « je puis, dit-il, quand je le veux… provoquer en moi des colères artificielles, de l’attendrissement, de l’enthousiasme, enfin le sentiment dont j’air besoin pour arriver à la fin désirée. » La plupart du temps, ce qui nous fait ce que nous sommes, ce sont nos habitudes ; et ce que nous pouvons faire de plus efficace pour nous transformer nous-mêmes, c’est de nous placer dans des conditions qui nous contraignent à acquérir certaines habitudes ; peu importe après tout que nous aimions fortement ce que nous faisons, l’essentiel est de le faire, et à force de le faire, nous finirons par l’aimer. Ce qui est surtout au pouvoir de notre réflexion, c’est de détruire ; et nous pouvons en les analysant et les examinant méthodiquement réduire à l’impuissance un certain nombre de mobiles qui nous déterminent à agir ; nous pouvons ne pas mettre au service de nos passions des sophismes qui les légitiment et les anoblissent à nos propres yeux ; nous pouvons même en mettant en balance la somme des plaisirs et la somme des douleurs que leur satisfaction doit entrainer pour les autres et pour nous en entraver en quelque mesure l’action : c’est le postulat sur lequel repose la morale utilitaire tout entière. Mais il ne suffit pas qu’une passion nous apparaisse dangereuse et vile, il ne suffit pas qu’elle ne nous promette que de rares et incertains plaisirs, mêlés à de certaines et cruelles douleurs, pour que nous ne cédions point à sa victorieuse puissance : on est souvent traîné en dépit de soi-même vers un but qu’on souhaiterait de n’atteindre jamais. Ajoutons qu’il ne dépend pas de nous « d’accorder aux idées que nous préférons la valeur et l’efficace qu’il nous plaît » (p. 85), ou du moins nous ne le pouvons guère qu’indirectement en agissant sur les conditions extérieures de notre vie mentale. Ce sont tous ces procédés indirects de lutte contre les. images et les instincts qui nous obsèdent et que nous voulons écarter que M. P. a étudiés avec une très grande sûreté d’analyse et un sens très organisé de la pratique.

Il nous a fallu faire sur toute cette partie théorique du livre de M. P. d’importantes réserves ; mais dans ce reste du volume, nous ne trouverons guère qu’à louer. L’objet spécial du « livre qui est destiné particulièrement aux étudiants, c’est l’étude des moyens dont nous disposons pour donner nous-mêmes à notre volonté l’éducation qu’exige le travail intellectuel prolongé et persévérant. » De ces procédés les uns. sont extérieurs et à tout prendre physiologiques, les autres tout intérieurs et purement psychologiques. Un mot d’abord des premiers. La