Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 38.djvu/82

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

emploient volontiers le blanc. — Les plaies et le tatouage ont également une raison de parure. Les plaies sont d’usage chez les noirs, étant plus visibles sur leur peau foncée, le tatouage dans les tribus claires. Que ces marques aient un sens religieux, ou tout autre, il n’importe ici ; elles sont estimées comme ornement. — Les pagnes et ceintures peuvent servir aussi à un but pratique, porter une arme, serrer le ventre, mais sont destinés plutôt à orner qu’à couvrir. On perce le septum, les oreilles, les lèvres, etc. ; on dispose les cheveux de plusieurs manières. On déchiquète les peaux, on enfile les coquilles ; bref, on modifie par l’art ce qu’offre la nature. — N’oublions pas la valeur sociale de certains usages de parure : inspirer la crainte, plaire, rappeler ses prouesses. Le fait que l’homme sauvage se pare plus que la femme, y a son explication : l’homme est à la fois amant et guerrier.

La décoration des ustensiles reste pauvre, quand le tatouage est déjà riche. Il est malaisé de distinguer entre l’ornement pur et l’ornement symbolique. Toujours est-il, pense M. Gosse, que la géométrie n’a rien à faire avec la décoration primitive. La soi-disant géométrie des sauvages semble plutôt ne reproduire qu’une image abrégée des faits du monde animal (écailles, peau, etc.) et des actions techniques de l’homme (tissage, vannerie, etc.). La vannerie a précédé la poterie ; rien d’étonnant si la décoration de la poterie reproduit l’aspect du jonc tressé. Ce ne sont là que des suppositions, mais bien vraisemblables. — La ligne en zig-zag, dont l’unité rythmique est composée de deux éléments, apparaît fréquemment dans l’ornementation primitive. Le rythme a dû être suggéré à la fois par l’imitation du travail humain et des formes animales, toujours symétriques. — M. Gosse fait remarquer ingénieusement que le monde animal a fourni des sujets décoratifs, et non le monde végétal. Il attribue cette particularité à l’influence des mœurs de la chasse sur le choix des ornements. L’uniformité décorative est motivée, dans les tribus qui vivent de la chasse, par la pauvreté des moyens de production. D’une manière générale, l’ornement reproduit les objets qui ont un intérêt pratique. Lorsque la plante y apparaît, cela indique une culture plus avancée ; les tribus ont passé alors à la vie agricole.

Les Australiens sont relativement avancés dans le dessin. Ils emploient, dans leurs peintures, un rouge, un jaune, un blanc — et même un bleu, dont on ne sait pas la provenance — qu’ils fixent au moyen d’une gomme. Les Boschimans aussi sont artistes. Seuls les Hyperboréens (îles Aléoutiennes) possèdent une sculpture. Tous, d’ailleurs, ils montrent peu d’imagination, et empruntent leurs sujets à la vie ordinaire. La vérité et la grossièreté sont les caractères dominants de cet art primitif. Nulle perspective, comme dans le dessin des enfants. Mais le sauvage se montre supérieur à l’enfant : celui-ci est un symboliste, celui-là un franc réaliste. — Ici M. Gosse fait une autre remarque intéressante. Observation, bonne vue, adresse, les sauvages, dit-il, possèdent ces qualités nécessaires à l’art ; leur appareil moteur et senso-