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savants, d’autre part, ont vanté les bienfaits de la science, ses découvertes dans l’ordre matériel et industriel, comme si la morale était une question de pur bien-être ou de pure hygiène. On eût dit, en vérité, qu’il n’avait jamais existé de philosophie ni de morale en dehors soit des théologies et mythologies de toutes sortes, soit de la mathématique, de la physique et de la physiologie. C’était faire trop bon marché de l’histoire ; c’était rayer d’un trait de plume les sciences si justement appelées morales, depuis la psychologie et l’éthique jusqu’à la philosophie première. Certes, s’il était vrai que la physique et l’histoire naturelle eussent pris l’engagement de nous fournir, comme telles, une doctrine du monde et de la vie, on aurait raison de dire que ces sciences ont fait banqueroute, s’étant mêlées de ce qui ne les regardait pas. La chimie ferait également faillite si elle prétendait expliquer le mouvement des astres, la précession des équinoxes, les éclipses de soleil ou de lune. Et la théologie, à ce compte, fit aussi banqueroute lorsqu’elle prétendit décider que le soleil tourne autour de la terre, Josué ayant jadis arrêté sa marche. Toute usurpation d’une science sur un domaine étranger aboutira nécessairement à des déconvenues. Ces aventures, il est vrai, sont fréquentes de la part des savants, qui, dans l’orgueil de leurs découvertes spéciales, s’imaginent parfois avoir trouvé le secret universel ; heureusement, les savants ne sont pas la science. Tous les banquiers eussent-ils déposé leur bilan, l’arithmétique ne déposerait pas le sien. Autant donc il est légitime de ramener chaque savant sur son terrain propre, autant il est illégitime de rendre la Science (avec ou sans majuscule) responsable de ce qu’on a appelé les faux billets « signés en son nom ». C’est l’ignorance, non la science, qui a fait et fera toujours faillite. Sur son domaine, la vérité scientifique est digne de notre respect et même de notre amour, puisqu’elle contribue à notre intellection des choses et de nous-mêmes. Saint Augustin a dit : Valde ama intellectum. Ni les portes de l’enfer, ni celles mêmes du paradis ne prévaudront contre la science.

Déjà, il y a quelques années, la jeunesse des écoles s’était partagée entre néo-idéalistes et néo-positivistes. Dans un éloquent discours aux étudiants, M. Zola, qui se déclarait lui-même « un vieux positiviste endurci », s’efforçait de défendre la science : « A-t-elle promis le bonheur ? » demandait-il. Et il répondait « Je ne le crois pas. Elle a promis la vérité, et la question est de savoir si l’on fera jamais du bonheur avec la vérité. Pour s’en contenter un jour, il faudra beaucoup de sacrifice, l’abnégation absolue du moi, une sérénité d’intelligence satisfaite qui semble ne pouvoir se rencontrer que chez une élite. Mais, en attendant, quel cri désespéré