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fatalité de son tempérament. Elle paraît insensée, inexplicable. Pourquoi Yann s’obstinait-il, par exemple, à ne pas épouser Gaud ? À cela, il n’y a pas de réponse. « De raison, il ne pouvait pas en donner parce qu’il n’y en avait pas, qu’il n’y en avait jamais eu. Hé bien, oui, tout simplement, il avait fait son têtu, et c’était tout. »

Pour expliquer un état d’âme si étrange, toutes les hypothèses semblent permises. Nous en proposerons une assez paradoxale. C’est que l’entêtement, au moins négatif, le « Je ne veux pas », si énergiquement qu’il soit prononcé, rentre dans l’aboulie, dénote une crise d’irrésolution aiguë, et provient, non pas d’un excès, mais d’un défaut d’impulsion.

Il y a, selon nous, une analogie entre l’entêté qui pense oui et dit non, qui ne veut pas et s’obstine à ne pas vouloir ce qu’il désire, et l’aboulique qui veut agir et ne le peut pas, et cette analogie se précise encore par le fait que la volonté du têtu, aussi bien que la paralysie de l’aboulique, est imaginaire, illusoire, peut céder et prendre fin. Mais tandis qu’il faut à l’aboulique une secousse pour l’arracher à sa torpeur, il suffit du temps pour vaincre l’obstination du têtu. Cette obstination est une crise qui se dénoue naturellement ou d’elle-même. Tous ceux-là le savent bien, qui ont eu affaire à des entêtés. Ils savent que, pour les amener à résipiscence, il ne faut pas les heurter de front, les combattre ; il ne faut pas même discuter avec eux, leur parler raison, mais il convient d’attendre discrètement et respectueusement le retour de leur bon vouloir, de laisser passer la tempête ou le bouillonnement des pensées mauvaises et renaître le calme, la paix intérieure et les résolutions sages. L’entêté, en effet, au plus fort de sa crise, sent qu’il devrait prendre la résolution contre laquelle il se raidit ; il voudrait déjà l’avoir prise ; il sait qu’il viendra tôt ou tard à la prendre ; déjà il y tend, mais il n’y peut arriver. Tandis que l’aboulie, improprement nommée, n’est que l’impuissance d’agir, l’entêtement est la véritable impuissance de vouloir.

D’où vient cette impuissance ? De ce que, pour vouloir, il ne suffit pas de dire « Je veux », mais il faut être porté et soutenu par l’élan du désir. C’est en vain qu’on comprend la nécessité ou l’obligation de se résoudre ; c’est en vain qu’on en éprouve le besoin, si on ne sent pas en soi cette impulsion victorieuse qui est la volonté même.

Mais peut-on soutenir que la volonté proprement dite fait défaut aux entêtés, alors qu’elle passe généralement pour être chez eux en excès ? Rappelons qu’il ne s’agit présentement que de l’entêtement négatif, et que cet entêtement est par définition la volonté se