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raidissant contre une résolution à prendre. Pourquoi une telle raideur ne serait-elle pas regardée comme une simple difficulté de vouloir ? L’entêté serait alors, dans l’ordre de la volonté, ce qu’est dans l’ordre intellectuel, un esprit lent. Un esprit lent peut ne manquer ni de force, ni de pénétration, ni de profondeur ; souvent même il a ces qualités, et il est de plus consciencieux, il ne se rend qu’à la vérité bien comprise, il prend le temps de la reconnaître, de se l’assimiler vraiment. L’entêtement pourrait de même être une volonté forte, mais de formation lente et laborieuse. Il y a des esprits prompts et légers qui croient posséder la vérité quand ils ne font que l’entrevoir et qui vont dans leurs convictions au-delà de ce qu’ils savent ; il y a de même des volontés téméraires qui se décident, si j’ose dire, sans être décidées et qui dépassent, dans leurs desseins et leurs actes, leur propre mouvement. Prenez le contraire de ces esprits, de ces caractères ; vous avez les lents, les têtus qui souvent se confondent.

L’entêté paraît résister à sa propre volonté ; en réalité, il veut être deux fois sûr de sa volonté ; c’est à cette condition seulement qu’il la suit. Il est un scrupuleux, un timoré d’une espèce particulière. Il nous arrive souvent de faire ce que nous ne voudrions pas, bien plus, de vouloir ce qui nous est indifférent, ce à quoi nous ne tenons pas. C’est justement à quoi l’entêté répugne. Il est tout entier dans ce qu’il fait, il veut absolument ce qu’il veut. Il regarderait comme une déchéance une complaisance pour autrui, une concession faite à l’ordre des choses, un consentement accordé de guerre lasse. Jamais il ne lui arrivera de dire « Après tout ! si vous y tenez ! Hé bien, soit ! » L’apparence d’un compromis lui porte ombrage. Mais justement parce qu’il ne veut agir que de plein gré ou de bonne grâce, il ne peut plus se décider à agir.

En apparence, il s’obstine à ne pas vouloir ce à quoi sa raison consent et son désir le porte. En réalité, il s’abstient de brusquer ses décisions, et s’applique à suivre exclusivement celles de ses résolutions qui sont pleines, accomplies et mûres. Quand il paraît se détourner de la fin à accomplir, il habitue son esprit à cette fin, il l’envisage longuement, la contemple à loisir, à tête reposée ; il en dégage toute la force séductrice, il déloge, pour lui faire place, toutes les idées antagonistes ; il ne l’introduit pas dans sa vie comme un élément étranger, il l’adopte vraiment, s’en imprègne, se l’assimile. Quand ce travail d’assimilation est achevé, l’entêtement cesse comme par enchantement ; il y a résolution au sens propre du mot, c’est-à-dire détente. L’entêtement n’est donc que l’enfantement laborieux de la volonté parfaite. Après cela il ne faut pas