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inspirations de sa conscience. Si on le prend au mot, quand il refuse de céder à la raison, il se bute et ne revient plus ; si on le met au défi d’accomplir les actions les plus extravagantes, si seulement on fait mine de l’en détourner, on provoque le déchaînement de son esprit de révolte, de son démon d’orgueil. Jamais le principe fondamental des théories de Rousseau, le principe de non-intervention en éducation ou de l’éducation négative, n’a été mieux justifié que dans le cas du têtu. En effet, si on ne force pas sa volonté, si on consent à l’attendre, à lui faire crédit, on constate qu’elle revêt d’elle-même la forme parfaite, non en ce sens qu’elle serait pratiquement la meilleure, mais en ce sens qu’elle est adéquate au caractère, qu’elle est l’impression vraie de la personnalité entière.

Mais pour faire comprendre et apprécier le têtu, il n’est rien de tel que de l’opposer au caractère accommodant et souple. L’entêté a plus à cœur de sauvegarder l’indépendance de sa volonté que d’atteindre telle ou telle fin. Le souple, au contraire, vise une fin déterminée et, pour l’atteindre, se fera au besoin violence, surmontera ses répugnances, fera le sacrifice de ses goûts. L’entêtement est la volonté repliée sur elle-même, ayant uniquement souci de sa dignité, de sa liberté intérieure ; la souplesse, au contraire, est la volonté tournée au dehors, asservie à l’action, poursuivant le succès.

La volonté du têtu se traduit plutôt par l’abstention, celle du souple par l’action. Le premier suit son propre mouvement sans tenir compte des circonstances, de l’opinion, de ses convenances mêmes ou désirs ; il suit, de là, que sa volonté est souvent empêchée, reste vaine, est un geste plus qu’un acte. Le second, au contraire, considère ce qu’il peut pour savoir ce qu’il veut ; il règle sa volonté sur les choses, il ne se permet pas d’avoir une volonté à lui, tirée de son caractère, non des circonstances ; il suit, de là, que sa volonté s’exerce toujours d’une façon efficace.

Mais alors que le têtu est tout entier dans le moindre de ses actes, on peut dire que le souple est étranger à ses actes. Il ne croit pas qu’aucun d’eux intéresse sa dignité, ou plutôt il met sa dignité uniquement à raisonner juste, à bien combiner ses actes, à tirer de chaque situation donnée le parti le meilleur. Tandis que le têtu se montre d’une fierté farouche, le souple paraît même dénué d’amour-propre.

Il ne se révolte jamais ni contre les personnes, ni contre les choses. Il ne fait pas le procès aux circonstances, il en prend acte, il les considère comme les données uniques des problèmes que la vie lui pose. Il entre entièrement dans la situation qui lui est faite, alors