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qu’il ne l’eût point choisie ; il se l’approprie, il en déduit les conséquences. Il est souvent ou paraît effronté, cynique, par cela seul qu’il est exclusivement pratique, qu’il s’engage dans la voie tracée par les circonstances sans s’inquiéter de savoir si la fin poursuivie et les moyens employés s’accordent avec sa dignité personnelle, sans songer même à établir aucun lien entre son caractère et ses actes.

Il accepte les personnes comme les événements. Leur caractère, leur moralité sont des faits qu’il enregistre, qu’il ne discute ni ne juge, mais dont il tient compte. Les hommes n’existent pour lui que comme obstacles ou moyens d’action.

Il accepte de même son propre caractère. Il connaît le fort et le faible de sa nature, il a évalué ses ressources, il a pris sa mesure. Il va son chemin, sûr de lui, car il sait ce qu’il peut et où il va. Il ne s’interroge pas d’ailleurs sur ce qu’il doit, et il ne s’inquiète pas de ce qu’il vaut.

L’entêté, avons-nous dit, est un esprit lent ; c’est aussi qu’il entre dans des considérations étrangères à l’action, qu’il s’embarrasse de principes, de règles. Le souple, au contraire, a l’esprit d’à propos, le coup d’œil prompt et sûr ; c’est aussi qu’il simplifie tout et que, dans la conduite à tenir, il ne voit autre chose que la solution logique d’une situation donnée, avec des moyens donnés. L’étroitesse du point de vue et la vivacité d’esprit, c’est là, intellectuellement, tout le cynisme, j’entends le cynisme naïf, le tempérament fruste qui n’a pas conscience de sa grossièreté, et dont l’immoralité n’est guère qu’amoralité. C’est ce cynisme qui s’étale dans les romans de Maupassant, cette vivante peinture de la souplesse normande, cynisme supportable et même plein de saveur, qui est une infirmité autant qu’un vice, et qui cesse presque d’être odieux pour devenir comique.

La stupidité du têtu n’est pas foncière, mais accidentelle ; elle est lenteur d’esprit, difficulté d’assimilation ; elle n’est pas inintelligence. Inversement, la souplesse d’esprit, liée à la souplesse de caractère, est une qualité trompeuse, une faculté d’assimilation plus apparente que réelle ; elle n’est pas vraiment intelligence. C’est ce que Bourget indique finement dans ce portrait de l’intellectuelle d’outre-mer dont les traits sont applicables à un grand nombre d’esprits. Elle « a tout lu, tout compris, et cela non pas superficiellement, mais réellement. Le malheur est que cette intelligence, capable de tout s’assimiler, est incapable de rien goûter. » Elle connaît toutes les œuvres, « seulement elle ne les distingue pas. Elle n’a pas une notion qui ne soit exacte, et vous avez cette étrange impression : c’est comme si elle n’en avait pas. » Le caractère souple paraît de même être la perfection de la volonté : il est