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phrase géniale, justice de ce pauvre argument : « Socrate, dit-il, regarde comme fin de la Cité l’unité absolue. Mais qu’est-ce qu’une Cité ? C’est une multitude composée d’éléments divers ; donnez-lui plus d’unité, votre Cité devient une famille ; centralisez encore, votre famille se concentre dans l’individu : car il y a plus d’unité dans la famille que dans la cité, et plus encore dans l’individu que dans la famille[1] ». Ainsi, il n’y a pas d’unité plus réelle, plus complète que l’individu. C’est donc lui qui, d’après les principes mêmes de Platon, incarnerait le mieux l’idée d’unité.

L’unité de l’État est un mythe. « Qu’est-ce que l’État ? demande M. Max Nordau. En théorie cela veut dire nous, vous. Mais dans la pratique c’est une classe dominante, un petit nombre de personnalités, parfois une seule personne. Mettre l’estampille de l’État au-dessus de tout, c’est vouloir plaire exclusivement à une classe, à quelques personnes, à une seule personne[2]. » Le comte de Gobineau dit de même : « L’expérience de tous les siècles a démontré qu’il n’est pire tyrannie que celle qui s’exerce au profit de fictions, êtres de leur nature insensibles, impitoyables et d’une impudence sans bornes dans leurs prétentions. Pourquoi ? C’est que ces fictions, incapables de veiller d’elles-mêmes à leurs intérêts, délèguent leurs pouvoirs à des mandataires. Ceux-ci, n’étant pas censés agir par égoïsme, acquièrent le droit de commettre les plus grandes énormités. Ils sont toujours innocents lorsqu’ils frappent au nom de l’idole dont ils se disent les prêtres[3]. »

Quel lien de symbolisme peut-il y avoir entre l’Idée Platonicienne et les sociétés humaines ? Les caractères de l’Idée Platonicienne sont, on le sait, la pureté, la simplicité, l’idéale et lumineuse vérité. Ces caractères se traduiraient par la simplicité et la sincérité des relations sociales au sein de l’État.

D’abord l’État est moins un principe plastique par rapport aux relations sociales en général qu’une résultante et un épiphénomène. De plus la conscience sociale même informée par l’État est loin de présenter ces caractères de simplicité, de logique et de sincérité dont il a été question. S’il est une chose évidente pour nous, c’est que la conscience sociale d’une époque, tissu de contradictions inaperçues et de mensonges dissimulés, est inférieure à cet égard à une conscience individuelle même médiocre parce que cette dernière peut, du moins à certains moments, tenter d’être logique avec elle-même et d’être sincère vis-à-vis d’elle-même. Et le mécanisme

  1. Aristote, Politique, livre II.
  2. Max Nordau, Paradoxes sociologiques, p. 125.
  3. Comte de Gobineau, De l’Inégalité des races humaines, tome II, p. 31.