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qui domine l’évolution sociale n’est plus une idée divine et transcendante. Le principe qu’il invoque n’est plus la raison en acte de Platon, mais une raison en marche, une vivante et mouvante harmonie, faite de contraires, qui se cherche elle-même et se réalise par degrés. Hegel, on le sait, a tiré de là un dogmatisme social autoritaire qui aboutissait à l’apologie de la monarchie prussienne considérée comme le sommet de l’ascension dialectique. Ce dogmatisme est devenu plus libéral chez les disciples de Hegel. D’une manière générale, le dogmatisme social de la philosophie du Fieri est moins rigide que le dogmatisme social des transcendentalistes. — Ce dogmatisme laisse à l’individu plus d’espace. La conception de l’identité des contraires efface toute limite fixe entre le bien et le mal et aboutit à les regarder comme des catégories historiques. Le caractère révolutionnaire de l’extrême-gauche hégélienne n’est pas douteux. M. de Roberty qui, par certains côtés, se rattache à cette école, dit que « la libre critique des normes qui règlent la conduite humaine ou ce que le vulgaire appelle l’irrespect, l’irrévérence, ou encore le scepticisme moral, forme la condition sine quâ non de tout progrès du savoir éthique et de la moralité elle-même[1] ».

Toutefois la philosophie hégélienne, même chez ses représentants de l’extrême-gauche, est encore un dogmatisme métaphysique et par conséquent un dogmatisme moral et social. Dogmatique, la philosophie hégélienne l’est par son affirmation de la primauté de l’intelligence sur l’instinct (Panlogisme), affirmation qui se traduit en sociologie par la tendance à placer le savoir au début de tout le développement social et à la base de la série des valeurs sociales. C’est là le point de vue adopté par M. de Roberty par exemple, en opposition avec le point de vue des marxistes qui mettraient plutôt avec Julius Lippert le Lebensfürsorge à la racine du processus social. Dogmatique, la philosophie hégélienne l’est encore par son affirmation du monisme social final, de l’avènement fatal de l’altruisme et de l’absorption finale du psychisme individuel dans le psychisme collectif. M. de Roberty répudie l’agnosticisme et veut « dépasser Dieu ». Il est difficile, en dépit des dénégations de M. de Roberty, de ne pas voir dans ces thèses une métaphysique nouvelle. Et si libérales que soient les tendances de M. de Roberty, il est à craindre que ce dogmatisme métaphysique ne se convertisse en un dogmatisme social qui porte comme son fruit naturel la subordination de l’individu à la société, de l’égoïsme à l’altruisme.

Or le Panlogisme de l’immanence, avec ses conséquences : le

  1. De Roberty, La Constitution de l’Éthique, Alcan, p. 90.