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monisme et l’altruisme final, n’est pas plus scientifiquement vrai que les thèses des métaphysiciens transcendentalistes. Il n’y a là qu’un déplacement d’ombre. Les idoles logiques : Unité, Vérité, ont beau descendre du ciel sur la terre, elles n’en restent pas moins des idoles. C’est toujours la même renaissante illusion qui, au mépris de la leçon kantienne de la Critique de la Raison Pure, érige des relativités en absolus et ressuscite dans les esprits serviles toute la mythologie fantastique de la Morale.

Nous croyons suffisamment démontrée l’inanité des dogmatismes sociaux fondés sur la Logique. Nous passons à ceux qui font appel à l’expérience. Ces derniers se résument en une seule idée et un seul terme : Solidarité.


Nous distinguerons plusieurs formes de solidarité : solidarité génésique ou organique ; solidarité économique ; solidarité intellectuelle ; solidarité morale et sociale. Il n’est pas une de ces formes de la solidarité qui n’ait été invoquée comme base de dogmatismes sociaux.

La solidarité génésique ou organique est la dépendance de l’individu vis-à-vis des parents d’où il est sorti et d’une manière générale vis-à-vis de l’espèce à laquelle il appartient. Au nom de cette solidarité, M. Espinas, dans un récent article d’une inspiration nettement anti-individualiste[1], nie l’individu comme agent indépendant et autonome. L’individu, dit M. Espinas, n’est qu’une abstraction ; le groupe seul est un être réel. Du moins le groupe fondé sur les liens génésiques. « Les seules sociétés qui puissent être considérées comme des êtres, sont celles dont les membres sont unis par tous les rapports de la vie, y compris la reproduction et l’éducation, ce qui entraîne l’union pour la nutrition elle-même. Un groupe où il n’y aurait pas de familles ne serait pas une société[2]. » La famille est le noyau de la cité. La solidarité familiale est le lien social fondamental. Et c’est la biologie qui nous enseigne la subordination naturelle et nécessaire de l’individu à la société et à l’espèce.

Les faits allégués par M. Espinas sont trop évidents pour qu’il soit nécessaire d’y insister. Il n’en est pas de même de ses conclusions.

Il est vrai que l’individu ne peut se soustraire aux lois de la génération pas plus qu’il ne peut se soustraire à celles de la pesanteur. Mais cela signifie-t-il que l’individu n’a d’autre rôle que d’être un

  1. Espinas, Être ou ne pas être, ou du postulat de la Sociologie, Revue philosophique de mai 1901.
  2. Revue philosophique, mai 1901, p. 469.