Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 53.djvu/37

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même de cette vérité qui risque désormais de n’être plus universelle

? Certes nous mériterions ce reproche s’il fallait borner aussi 

étroitement que Comte croit devoir le faire la partie de nous-mêmes par laquelle nous sommes semblables à tous les hommes ; mais c’est justement ce dont nous nous défendons. Si nous avons tous les mêmes sens, et si nous savons tirer des mêmes impressions les mêmes idées abstraites, ce ne sont pas là les seules marques caractéristiques de notre humanité. II y a une foule d’éléments d’ordre esthétique ou intellectuel, une foule de tendances, de besoins, d’aspirations, par lesquels nos âmes vibrent à l’unisson, pourvu qu’elles soient normales et saines ; et en particulier nous croyons qu’il est pour nous une façon de dépasser les données de l’expérience, et, sous leur suggestion, de former librement un idéal nouveau de poser des idées, comme disait Platon qui peut satisfaire uniformément tous les esprits. Nous continuons sans doute, comme Aug. Comte, à distinguer dans les affirmations que chacun formule, ce qui se rattache de près ou de loin à sa personne, à son éducation spéciale, au milieu ou il a vécu, à ses préjugés, à son tempérament particulier, bref ce qui est subjectif et individuel, et ce qui d’autre part émane du fonds normal par lequel nous nous dépassons pour communier vraiment avec le reste de l’humanité. Mais cette partie de notre être par laquelle nous sortons ainsi de nous-mêmes, et que consciemment ou non les hommes nomment la raison, nous apparaît comme très complexe et très riche ; c’est un reflet de toute notre âme ; bien mieux, c’est notre âme tout entière, en tant qu’elle fait effort pour se dégager de toute circonstance accidentelle ou contingente, et pour atteindre ce qui portera en soi sa propre force d’expansion. Et ainsi la vérité, en se dépouillant de l’aspect primitif et simpliste que lui donnait sa nature purement statique, pour intéresser l’activité profonde de l’esprit et jaillir au contact des faits, de la spontanéité de la raison, garde en son essence même son premier caractère d’universalité. Le scepticisme n’a donc pas lieu de triompher de notre attitude nouvelle ne pourrions-nous même pas dire qu’elle échappe mieux à ses atteintes que ce qui reste malgré tout de naïvement dogmatique dans le positivisme de Comte ? Tant qu’on ne voit dans la reconnaissance de la vérité qu’une soumission passive à une donnée qui s’impose, combien il est facile d’en contester la réalité ! Soit le fait le plus simple, le plus évident j’écris en ce moment même sur ce papier quelques réflexions qui se sont présentées à mon esprit. J’écris, dis-je, en suis-je bien sûr ? puis-je donner la preuve que je ne rêve pas, que je ne suis pas l’objet de quelque hallucination ?