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peler le souvenir, n’importe comment, quand nous en aurons besoin. C’est pourquoi nous employons simultanément ou successivement les procédés les plus divers, associant le travail de la mémoire machinale à celui de la mémoire intelligente, juxtaposant entre elles les images auditives, visuelles, motrices, pour les retenir telles quelles à l’état brut, ou cherchant au contraire à leur substituer une idée simple. qui en exprime le sens et qui permette, le cas échéant, d’en reconstituer la série. C’est pourquoi aussi, quand vient le moment du rappel, nous ne recourons pas exclusivement à l’intelligence ni exclusivement à l’automatisme automatisme et réflexion se mêlent ici intimement, l’image évoquant l’image en même temps que l’esprit travaille sur des représentations moins concrètes. De là l’extrême difficulté que nous éprouvons à déunir avec précision la différence entre les deux attitudes que prend l’esprit quand il se rappelle machinalement toutes les parties d’un souvenir complexe et quand, au contraire, il les reconstitue activement. Il y a presque toujours une part de rappel mécanique et une part de reconstitution intelligente, si bien mêlées ensemble que nous ne saurions dire où commence l’une et ou finit l’autre. Toutefois, des cas exceptionnels se présentent où nous nous proposons d’apprendre une leçon complexe de telle manière que le rappel puisse en être instantané, et, autant que possible, machinal. D’autre part, il y a des cas où nous savons que la leçon à apprendre n’aura jamais à être rappelée tout d’un coup, mais qu’elle devra au contraire être l’objet d’une reconstitution graduelle et réfléchie. Ce sont ces cas extrêmes qu’il sera peut-être utile d’examiner. d’abord. H est aisé de voir que nous nous y prenons tout différemment pour retenir, selon la manière dont nous aurons à nous rappeler. Et le travail sut generis que nous effectuons, au moment de l’acquisition du souvenir, pour favoriser l’effort intelligent de rappel ou au contraire pour le rendre inutile, pourra nous renseigner sur la nature et les conditions de cet effort.

Dans une page curieuse de ses Confidences, Robert Houdin explique comment il s’y prit pour développer chez son jeune fils une mémoire intuitive et instantanée II commença par montrer à l’enfant un dé de dominos, le cinq-quatre, en lui demandant le total des points et sans le laisser compter. A ce dé il en adjoignit alors un autre, le quatre-trois, exigeant ici encore une réponse indépendante de tout calcul. Il arrêta là sa première leçon. Le lendemain, il réussissait à faire additionner d’un coup d’œil trois et quatre dés, le


1. Robert Houdin, Confidences, Paris, 1861, t. I, p. 8 et suiv.