Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 53.djvu/9

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

pour l’oreille, en quelque sorte, et sans que l’intelligence s’en mêle. L’objet de cette méthode est d’obtenir de la mémoire le rappel instantané et facile. Et l’artifice consiste à faire évoluer l’esprit, le plus possible, parmi des images de sons ou d’articulations, sans mélange d’éléments plus abstraits, plus éloignés de l’activité sensorimotrice.

semblerait ressortir de ces deux exemples que la facilité de 

rappel d’un souvenir complexe est en raison directe de la tendance de ses éléments à s’étaler sur un même plan de conscience. C’est d’ailleurs ce que chacun de nous peut vérifier sans peine. Une pièce de vers apprise au collège nous est-elle restée dans la mémoire ? Nous nous apercevons, en la récitant, que le mot appelle le mot et qu’une réflexion sur le sens gênerait plutôt qu’elle ne favoriserait le mécanisme du rappel. Les souvenirs, en pareil cas, peuvent être auditifs ou visuels. Mais ils sont toujours, en même temps, moteurs. Même, il nous est difficile de distinguer ce qui est souvenir de l’oreille et ce qui est habitude d’articulation. Si nous nous arrêtons au milieu de la récitation, notre sentiment de l’« incomplet s nous paraîtra tenir tantôt à ce que le reste de la pièce de vers continue à chanter dans notre mémoire, tantôt a ce que le mouvement d’articulation n’est pas allé jusqu’au bout de son élan et voudrait l’épuiser, tantôt et le plus souvent à l’un et à l’autre tout à la lois. Mais il faut remarquer que ces deux groupes de souvenirs, souvenirs auditifs et souvenirs moteurs, sont de même ordre, également concrets, également voisins de la sensation ils sont, pour revenir à l’expression déjà employée, sur un même « plan de conscience )). Au contraire, dès que le rappel exige un effort, il y a mouvement de l’esprit d’un plan à un autre.

Quel est le procédé indiqué par les traités de mnémotechnie pour apprendre un long développement en prose, par exemple, dans des cas ou le rappel n’a pas besoin d’être instantané ? C’est un procédé que chacun de nous applique plus ou moins inconsciemment. On commence par lire le morceau avec attention, puis on le divise en paragraphes ou sections, en ayant soin de marquer aussi nettement que possible les articulations des idées. On obtient ainsi une vision schématique de l’ensemble. Alors, à l’intérieur de ce schéma, on intercale les expressions les plus remarquables. On rattache à l’idée dominante les idées subordonnées, aux idées subordonnées les mots dominateurs et représentatifs, à ces mots enfin les mots intermédiaires qui les relient comme en une chaîne. « Le talent du mnémoniste consiste à saisir dans un morceau de prose ces idées saillantes, ces courtes phrases, ces simples mots qui entraînent