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le rapport qui existe entre ces deux espèces d’action éducatrice.

Les influences de la première espèce composent un empirisme moral irraisonné, instinctif, routinier, aveugle et volontiers tyrannique. À cet empirisme moral les partisans de l’éducationisme prétendent substituer une discipline intellectuelle et morale systématique fondée sur la raison et la science. Cette discipline rationnelle est sans doute fort différente de l’empirisme moral qu’elle prétend remplacer. On peut même soutenir qu’elle lui est fort supérieure, puisqu’elle l’emporte sur lui dans la mesure où la réflexion et la science l’emportent sur l’instinct et sur la routine. Il n’en est pas moins vrai que cette discipline, pour rationnelle et scientifique qu’elle se donne, implique, elle aussi, une mainmise de la société sur l’individu. Elle subordonne le développement de l’individu à une fin collective posée comme légitime et même comme impérative.

L’éducationisme affirme implicitement le droit de la société à façonner l’individu. Il affirme à la fois l’efficacité et l’utilité de ce dressage. Par là même, la théorie éducationiste ne tend à rien moins qu’à favoriser et à étendre jusqu’aux dernières limites les pouvoirs de la société sur l’individu.

C’est ainsi que la théorie éducationiste soulève, sous un aspect particulier, le problème fondamental de l’antinomie de l’individu et de la collectivité.

Avant d’examiner les prétentions de l’éducationisme, il importe de mettre brièvement en lumière les caractères et les tendances essentielles de cette théorie.

Tout d’abord il est aisé de remarquer que l’éducationisme est étroitement lié aux doctrines intellectualistes ou rationalistes qui affirment le primat de l’intelligence et de la raison dans la conscience humaine. D’après ces doctrines, le fond dernier de l’homme n’est pas un vouloir-vivre obscur et trouble qui nous réserve à chaque pas des surprises déconcertantes pour notre logique et compromettantes pour notre moralité. Le fond de l’homme est la raison une et universelle, capable d’atteindre et d’exprimer par le moyen du concept ou de la notion une vérité elle-même une et universelle, valable pour tous les esprits et communicable à tous les esprits. Le postulat inévitable de l’éducationisme est la foi dans la raison, la logique et la science.

L’éducationisme est par lui-même essentiellement dogmatique. Il affirme implicitement l’existence d’une vérité intellectuelle et morale, théorique et pratique. Il se croit en possession de cette vérité. Il s’arroge le droit de l’inculquer aux esprits ignorants ou égarés et aux volontés rebelles.