Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 62.djvu/21

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

fondement vient à manquer, la moralité va disparaître. En vain nous avons essayé de montrer que la morale, en ce sens, n’a pas plus besoin d’être /’oK~ee que la nature, et que si les philosophes ne font pas la morale, ils ne la défont pas non plus. Les critiques répliquent que des règles morales dont les hommes connaîtraient la nature relative et provisoire perdraient nécessairement leur autorité et ne sauraient plus imposer le respect. La science des mœurs serait mortelle à la conscience morale. Appelons-en aux faits, et prenons pour exemple des obligations auxquelles nous nous conformons tous ou presque tous avec une grande régularité les obligations de politesse et les égards pour autrui qui sont de règle dans le groupe social où nous vivons. Nous les observons parce que nous y avons été pliés dès l’enfance, parce que nous sentons qu’à les violer nous éprouverions une sorte de disgrâce, et que nous nous exposerions à des ennuis fort désagréables. Supposons maintenant que la science nous révèle l’origine de ces obligations, leur rapport avec les conditions générales de notre société, et même le caractère fortuit de la plupart d’entre elles, qui auraient pu ne pas exister, ou être différentes, et qui sont autres en effet chez d’autres peuples. Quel effet cette connaissance aura-t-elle sur notre conduite ? Cesserons nous d’observer ces règles ? En perdrons nous le respect ? Évidemment non. Et là où le respect des règles mondaines prend la forme du snobisme, cette connaissance pourra-t-elle rien contre lui ? II est donc certain que les forces qui assurent l’obéissance volontaire à ces prescriptions ne dépendent point de l’ignorance où nous sommes de leur origine, et ne sont pas paralysées, ni même affaiblies, quand cette ignorance se dissipe.

Mais, dira-t-on, ce ne sont là que des convenances et des usages, c’est-à-dire quelque chose d’extérieur, où la conscience morale n’est pas intéressée, et où notre avantage personnel pousse presque toujours à l’observation des règles. Il en va autrement des vrais devoirs. Se pourrait-il donc que les simples formalités de la vie sociale eussent une assiette plus solide que les obligations morales qui en assurent la durée ? Il n’en est rien, et l’expérience témoigne pour celles-ci exactement comme pour les autres. Soit, par exemple, le devoir de sacrifier à la justice l’intérêt personnel, de rendre à la vérité un témoignage qui déplaira à ceux dont on dépend Un homme honnête et courageux parlera. Un homme faible ou malhonnête se taira. Qu’il prenne l’un ou l’autre parti, c’est une question d’espèce il aura toujours senti l’obligation. Croit-on que la connaissance scientifique des lois qui régissent les faits moraux, et du