Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 62.djvu/23

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signe infaillible, pour chacun de nous, qu’une question de nature morale’s’est présentée à lui. Mais c’est une illusion de croire que ce symptôme exprime le fait moral dans. son entier, et qu’il en constitue l’essence. C’est oublier tout ce que ce fait implique nécessairement de social, comme le praticien qui ne s’arrêterait qu’au symptôme douleur, méconnaîtrait les causes de ce symptôme même, et se mettrait hors d’état de diagnostiquer et de traiter le mal.

Ceux qui prétendent que nous tendons à détruire la moralité sont donc justement ceux qui n’admettent point qu’elle soit une réalité. Ils nous reprochent d’en faire quelque chose qui ne se définisse pas uniquement par l’acte volontaire de l’individu obéissant à sa conscience. Ils ne voient pas que cette conscience, que l’idéal moral d’un homme, si haut qu’il soit, ne sont pas son œuvre à lui seul, ne sont pour ainsi dire jamais son œuvre que pour une part infinitésimale. Comme la langue qu’il parle, comme la religion qu’il professe, comme la science qu’il possède, ils sont le résultat d’une participation constante à une réalité sociale qui le dépasse infiniment, qui existait avant lui, et qui lui survivra. Nous serions donc en droit de soutenir que c’est nous, et non pas nos adversaires, qui considérons la moralité comme indestructible, puisque selon nous elle repose sur une base sociale qui ne peut jamais lui manquer, bien qu’elle varie, très lentement d’ailleurs, en fonction des autres séries de faits sociaux. Selon eux, elle n’a qu’une existence précaire, et les plus grands dangers la menacent, si les hommes se persuadent jamais qu’elle a une origine sociale. Selon nous, elle fait partie d’une « nature » comparable, sous certaines réserves, à la nature physique, et, comme telle, elle .n’a rien à redouter de la connaissance scientifique que nous pouvons en acquérir. Nous ne contestons pas « l’action récurrente de cette connaissance sur la réalité qu’elle étudie, mais nous savons que cette réalité est assez solide pour subir cette action sans y succomber. Peut-être cependant y a-t-il des raisons plus profondes au malaise que traduisent les critiques, quand ils assurent que, définir les faits moraux comme des faits sociaux, concevoir une (, nature morale o analogue à la « nature physique étudier l’une comme l’autre d’un point de vue objectif, tout cela dissimule mal « la pioche du démolisseur ». Il ne suffit pas de montrer que ces craintes sont vaines, et que les conséquences redoutées ne se produiront pas. Il faut,