Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 62.djvu/41

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

SAGERET. LA COMMODITÉ SCŒXTIFIQUE 37

et aussi, je dirais surtout, aux philosophes. Riemann et Lobachewsky, le premier d’une manière plus générale, nous démontrent qu’il n’y a pas de géométrie absolue. Si l’homme fait abstraction de son corps et du monde qui l’entoure, il se trouve en présence d’une infinité de géométries tout aussi vraies les unes que les autres. Aucune d’elles ne s’impose à notre esprit quand il s’isole dans la pensée pure, aucune ne porte le caractère métaphysique de nécessité. (Ceci est bien fait pour réjouir ceux qui repoussent la nécessité métaphysique). En revanche, dès que notre esprit revient en contact avec notre univers à nous, une seule géométrie devient possible, la géométrie d’Euclide ; elle s’impose donc non pas à nous sans doute, mais à nos relations avec l’univers. Changez les sens de l’homme, elle pourra changer, changez l’univers, elle pourra encore changer. Elle est relative, si l’on veut dire par là qu’elle dépend des deux termes sens de l’homme et MKtuef. elle est nécessaire, si l’on veut dire par là que, le rapport de ces deux termes une fois fixé, elle-même se trouve fixée. Elle peut encore être considérée comme un système adapté par notre esprit aux relations de nos sens avec l’univers. Une telle adaptation comporte le qualificatif de commode, ce qui ne l’empêche pas d’être une nécessité suivant la signification concrète du mot nécessité. Insistons, en vue de ce qui suivra, sur le caractère de cette commodité. La géométrie d’Euclide est commode seulement pour les applications que l’on peut faire des mathématiques. Si l’on disait pour les mathématiques elles-mêmes, cela n’aurait pas de sens. Au point de vue mathématique pur, toutes les géométries, également vraies, ne peuvent différer de valeur que par leur plus ou moins grande richesse en conséquences, mais c’est là tout autre chose que de la commodité.

On projettera peut-être encore un peu de lumière sur la « commodité » en examinant cette fameuse question du mouvement de la terre. Il est plus commode d’admettre ce mouvement, disait M. Poincaré, au grand scandale de plusieurs excellents esprits. Faisons une comparaison. Imaginons un homme X. d’ailleurs impossible. Cet homme n’a eu sous les yeux qu’un entourage à peu près immobile, il ne s’est pas déplacé lui-même, il a vécu isolé, il manque de lecture, et cependant il est intelligent et connaît fort bien tous les termes de la langue française. Enfin il se prête à une expérience que je désire faire sur lui. Je lui bande les yeux et le conduis à une gare de chemin de fer. Là il est débarrassé de son bandeau. Je le fais monter avec moi dans un express qui ne tarde pas à s’ébranler. Qu’est-ce qui se meut, le train