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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 62.djvu/53

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SAGERET. LA COMMODITÉ SCIENTIFIQUE 49

Mais ces autres sciences ne vont-elles pas à leur tour être divisées en plusieurs compartiments étanches par cette même commodité ? Sans avoir besoin d’entrer en de longs développements, on voit tout de suite qu’il n’en est rien. Les sciences communément appelées de ce nom sciences physiques, naturelles, morales, politiques, entrent tout d’abord sous l’idée positiviste (à l’exclusion de la métaphysique et de l’histoire) ; elles ont en effet dans leurs départements respectifs des faits généraux qui se répètent, dépendent les uns des autres, et se prêtent par conséquent à être agencés en relations et groupes de relations. Ces faits sont tous accessibles, sinon à l’expérience et à la mesure, du moins à l’observation qui suffit à donner aux lois le caractère d’approximation progressive parce qu’elle peut se multiplier et se préciser. L’approximation progressive implique à son tour la commodité. Il est donc légitime de faire régner la notion de commodité sur l’ensemble des sciences. La seule différence fondamentale qu’il y ait entre elles à ce point de vue est leur degré d’avancement. Bien souvent elles ne sont les sujettes de la commodité que par ~M~Ha< !OM. Pour qu’on puisse dire leurs lois toujours approchées, encore fautil en effet qu’elles aient constitué des lois. Tel n’est pas le cas par exemple des sciences qui ont trait à l’homme envisagé comme être social. Celles-ci ont à leur disposition des faits généraux qui se répètent, mais elles échouent à saisir des rapports. Elles n’en verront pas de sitôt. Leur langage tout imprégné de logique sentimentale est pour elles un grave obstacle. Nous avons encore l’habitude de grouper les faits sociaux en plaidoyers pour défendre nos intérêts matériels et nos préjugés religieux ou antireligieux, or un plaidoyer est tout l’inverse d’un système scientifique. Quand il s’agit en effet de composer le premier, l’avocat connaît d’abord sa conclusion ; au contraire, un savant, auteur d’une théorie, a d’abord connu des faits ou des rapports de faits, et c’est d’eux qu’il a ensuite déduit sa conclusion.

Malgré ces difficultés, il ne convient pas d’enlever les sciences par </M~na<tOH au groupe général des sciences. Elles se différencient en effet, non comme une espèce d’une autre espèce, mais comme un embryon appartenant à une espèce d’un individu adulte appartenant à la même espèce. Il n’y à pas de raison pour croire à l’avortement indéfini des embryons de sciences. Toutes les sciences basées sur l’expérience ou l’observation ont connu elles aussi les obstacles opposés à leur éclosion par la logique sentimentale. Hier encore la théorie évolutive, qui a enfin constitué l’histoire naturelle en science adulte, était repoussée ou adoptée suivant que l’on TOME LXII. 1906. 4