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CONTRE L’INTELLECTUALISME EN PSYCHOLOGIE

La psychologie de l’intelligence humaine est dominée d’ordinaire par le préjugé intellectualiste l’homme semble fait pour connaître ; la représentation des objets, la conception de types abstraits, semblent avoir pour fin de mettre chaque esprit en possession d’une vérité immuable. Il est aisé de montrer que ce préjugé dérive directement d’un postulat métaphysique ou théologique l’homme qui se croit divin, en partie du moins, prétend participer au pouvoir divin par excellence (puisqu’il est la condition de toute sagesse dans l’action et d’une invincible puissance), le pouvoir de connaître. La réaction contre la théologie et la métaphysique devait amener à la suite d’un criticisme, en définitive peu audacieux, une réaction contre l’intellectualisme. Mais le « pragmatisme ’) même, qui avec W. James « renvoie au musée des antiques le bric-à-brac des catégories kantiennes », est surtout « fidéiste » comme l’a montré M. Lalande dans un récent article (Rev. pA ! de février 1906). A notre avis, le psychologue doit, pour rester fidèle à l’esprit scientifique, rechercher les conditions d’apparition de l’activité intellectuelle dans les exigences de l’action vitale. La pensée humaine, dans son état présent, doit servir à concevoir un état dans lequel elle n’existait pas encore. Entreprise vaine, déclare le criticiste ce monde dans lequel on suppose que l’intelligence humaine n’a pas encore fait son apparition n’existe que par votre représentation conformément aux formes actuelles de votre pensée ; ses lois fondamentales sont celles de votre esprit. Soit. Aussi le psychologue s’efforcera-t-il de ne pas faire intervenir un monde extérieur soumis aux lois du nombre, du temps, de l’espace, de la causalité, puisque ce monde extérieur est irrémédiablement intellectualisé 1. Il prendra des sujets simplement sentants et agissants, et il aura soin de ne pas introduire dans leurs tendances ou sentiments une connaissance des phénomènes. Il n’aura que des états psychiques à considérer et ces états seront ceux que tous sont bien obligés de concevoir comme constituant l’activité mentale des êtres inférieurs. On ne prétendra pas sans doute nous obliger à admettre dans la méduse, i. La psychologie de Spencer peut paraître viciée par un fréquent appel à l’adaptation au milieu, ce milieu étant conçu au point de vue réaliste.