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E. DURKHEIM. — origines de la pensée religieuse


est vrai, sans y introduire quelques modifications Mais, en somme, les questions se posent pour l’un comme pour l’autre dans les mêmes termes, et les solutions adoptées, sauf une, sont identiquement les mêmes. Nous pouvons donc réunir ces deux doctrines dans l’exposé qui va suivre, sauf à marquer, quand le moment en sera venu, l’endroit où elles divergent.

Pour être en droit de voir dans les croyances et les pratiques animistes la forme primitive de la vie religieuse, il faut satisfaire à un triple desideratum: 1o puisque, dans cette hypothèse, l’idée d’âme est la notion cardinale de la religion, il faut montrer comment elle s’est formée sans emprunter aucun de ses éléments à une religion antérieure ; 2o il faut faire voir ensuite comment les âmes devinrent l’objet d’un culte et se transformèrent en esprits 3o enfin, puisque le culte des esprits n’est le tout d’aucune religion, il reste à expliquer comment le culte de la nature est dérivé du premier. L’idée d’âme aurait été suggérée à l’homme par le spectacle, mal compris, de la double vie qu’il mène normalement à l’état de veille, d’une part, pendant le sommeil, de l’autre. En effet, pou le sauvage les représentations qu’il a pendant la veille et celles qu’il perçoit dans le rêve ont, dit-on, la même valeur il objective les secondes comme les premières, c’est-à-dire qu’il y voit l’image d’objets extérieurs dont elles reproduisent plus ou moins exactement l’aspect. Quand donc il rêve qu’il a visité un pays éloigné, il croit s’y être réellement rendu. Mais il ne peut y être allé que s’il existe deux êtres en lui l’un, son corps, qui est resté couché sur le sol et qu’il retrouve au réveil dans la même position ; l’autre qui. pendant le même temps, s’est mu à travers l’espace. De même, si, pendant son sommeil, il voit venir à lui et lui parler un ftf ses compagnons qu’il sait retenu au loin, il en conclura que ce dernier, lui aussi, est composé de deux êtres, l’un qui dort à quelque distance et l’autre qui est venu se manifester par la voie du rêve. De ces expériences répétées se dégage peu à peu cette


1. V. Principes de Sociologie, Part. I et VI.

2. Nous employons ce mot parce que c’est celui dont se sert M. Tylor, et bien que nous sentions tout ce qu’il a de défectueux ; il parait impliquer, en effet, qu’il y a des hommes, qui méritent le nom d’hommes, avant qu’il n’y ait une civilisation. D’ailleurs, il n’y a pas de terme convenable pour rendre l’idée ; celui de primitif, dont nous nous servons de préférence faute de mieux, est loin d’être satisfaisant. t.