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idée qu’il existe en chacun de nous un double, un autre nous-même qui, dans des conditions déterminées, a le pouvoir de quitter ’organisme où il réside et de s’en aller pérégriner au loin.

Ce double reproduit naturellement tous les traits essentiels de l’être sensible qui lui sert d’enveloppe extérieure ; mais, en même temps, il s’en distingue par plusieurs caractères. Il est plus mobile puisqu’il peut parcourir en un instant de vastes distances. Il est plus malléable, plus plastique car, pour sortir du corps, il faut qu’il puisse passer par les orifices de l’organisme, le nez et la bouche notamment. On se le représente donc comme fait de matière sans doute, mais d’une matière beaucoup plus subtile et éthérée que toutes celles que nous connaissons empiriquement. Ce double, c’est l’âme. Et il n’est pas douteux, en effet, que, dans une multitude de sociétés, l’âme n’ait été conçue comme une image du corps ; on croit même qu’elle en reproduit les déformations accidentelles, comme celles qui résultent des blessures ou des mutilations. L’Australien, après avoir tué son ennemi, lui coupe le pouce droit afin que son âme, privée par contre-coup de son pouce, ne puisse lancer Je javelot et se venger. Mais, en mcme temps, tout en ressemblant au corps, elle a déjà quelque chose d’à demi spirituel. On dit qu’elle est la parUe la plus subtile et la plus aérienne du corps », qu’elle n’a ni chair, ni os, ni nerfs », que, quand on veut la saisir, on ne sent rien, qu’elle est « comme un corps purifié ». D’ailleurs, autour de cette donnée fondamentale du rêve, d’autres faits d’expérience venaient tout naturellement se grouper qui inclinaient les esprits dans le même sens c’est la syncope, l’apoplexie, la catalepsie, l’extase, en un mot tous les cas d’insensibilité temporaire. En effet, ils s’expliquent très bien dans l’hypothèse que le principe de la vie et du sentiment est susceptible de quitter momentanément le corps. Or, d’un autre côté, il était naturel que ce principe fût confondu avec le double, puisque l’absence du double pendant le sommeil a quotidiennement pour efTet de suspendre la vie et la pensée. Ainsi ces observations diverses semblaient se contrôler mutuellement et confirmaient l’idée de la dualité constitutionnelle de l’homme

1. Tylor, op. cit., S29.

2. V. Spencer, Principes de Sociologie, I, p. 205 et suiv., et Tylor, op. cit., , 5i7.