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attire l’argent. Il est encore plus vrai que l’épargne appelle l’épargne.

Au contraire, le travailleur vit du produit de son activité, au jour le jour, plus préoccupé de l’argent à gagner pour satisfaire les besoins du lendemain que de grossir les économies de la veille. Avant de penser à économiser il doit penser à acquérir, ce qui explique que, chez lui, le souci de l’épargne reste au second plan, tandis que le rentier qui, à proprement parler, est capable d’acquérir est, par la force même des choses, attiré vers l’économie.

Les considérations qui précèdent et qui ne visent que les cas extrêmes le travailleur ne possédant rien et le rentier ne travaillant pas sont forcément théoriques. Elles aboutissent à une conception schématique et l’opposition qui en résulte est trop violente.

D’abord parmi les travailleurs tous ne jouissent pas de la même immunité contre l’avarice. Si les ouvriers d’industrie sont rarement avares, il n’en est pas de même des paysans. Ces derniers ont même la réputation d’être particulièrement enclins à l’économie sordide. Cependant, là, comme dans beaucoup de ses jugements, l’opinion publique se montre injuste ou, pour le moins, exagérée. Il est vrai que le paysan pratique volontiers l’économie. Mais son amour de la richesse, quand il sort des limites normales, prend surtout la forme de la cupidité, et c’est faute d’avoir distingué entre la cupidité et l’avarice que l’opinion, secondée dans son erreur par la littérature, considère l’avarice comme le péché mignon du paysan. Si nous nous en tenons à la définition que nous avons adoptée, l’avarice est un amour de la richesse pour elle-même, abstraction faite des satisfactions que la richesse peut procurer. En d’autres termes l’économie de l’avare n’a pas de but. Celle du paysan en a un souvent la sécurité et le bien-être de sa vieillesse, souvent aussi l’élévation sociale de sa descendance.

Mais si, comme je le crois, le diagnostic d’avarice, quand il s’agit des paysans, est porté trop à la légère, il n’en est pas moins exact qu’il est assez souvent justifié et qu’il existe beaucoup plus d’avares dans la population ouvrière des campagnes que dans celle des villes. Cette différence trouve son explication dans ce fait que le paysan est un être hybride, qui tient à la fois du travailleur et du