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rogues de fursac. — les causes de l’avarice

rentier, soumis comme le premier à la nécessité d’une vie laborieuse et, comme le second, détenteur d’une parcelle plus ou moins considérable de richesse. Si petite qu’elle soit, cette parcelle tend à s’accroître. L’instinct d’épargne trouve dans ce noyau primitif de propriété un stimulant qui manque chez l’ouvrier d’industrie.

D’autre part, à égalité de rang social, bien que contraint au travail, le paysan est moins bien défendu que le citadin contre la tendance à l’épargne exagérée. En effet, si, une fois les besoins impérieux de la vie satisfaits, l’ouvrier d’industrie a encore du superflu, il achète du plaisir, ce qui lui est facile, grâce aux ressources et aux tentations que lui offrent les agglomérations où il vit. Le paysan trouve plus difficilement l’emploi de son superflu. Il ne connaît que le plaisir inhérent à la satisfaction même de l’instinct d’épargne. Peu à peu ce plaisir concentre toute la vie affective, et, à mesure que le plaisir d’économiser devient plus intense, le besoin d’économiser devient plus pressant.

De même, parmi ceux que nous avons appelés les « rentiers », les chances d’avarice sont inégalement réparties. La classe riche, où se rencontrent les grosses fortunes, compatibles avec la vie large et luxueuse, ne fournit que peu d’avares. C’est qu’une grosse fortune permet et souvent impose une vie active et mouvementée. L’existence de l’homme du monde est très occupée, prise par une infinité d’obligations et de devoirs, artificiels mais absorbants, pouvant même tout comme le travail ouvrier amener le surmenage et ruiner la santé. Cette activité qui tourne à vide, si peu productive et si peu respectable qu’elle soit, se suffit à elle-même et protège l’individu contre les dangers qui résultent d’une vie restreinte, monotone et inactive, contre l’avarice en particulier.

Il en est tout autrement si nous considérons la situation des moyens et surtout des petits rentiers. Ici les occupations stériles, les intérêts factices que nous venons d’envisager ne sont pas compatibles avec la médiocrité des ressources. Il faut beaucoup d’argent pour sortir et recevoir, fréquenter les théâtres, voyager, pratiquer les sports. Or, le petit rentier n’a pas beaucoup d’argent ; ses ressources suffisent à peine à lui procurer le nécessaire, à lui permettre de vivre et de tenir son rang. Enfermé dans un cercle étroit, condamné à une vie terne, dépourvue d’intérêt et