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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 74.djvu/14

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d’une façon parfois lente, parfois rapide, mais toujours continue vers un perfectionnement indéfini de l’individu et de la société. S’il s’agit d’une conception mystique et purement philosophique, on peut ne chercher que la perfection de l’intelligence, ou que la beauté suprême ou que l’absolue bonté.

Même on ne voit dans l’intelligence, d’un côté, que la puissance de connaître le monde sensible, de l’autre, que celle de construire le monde intelligible. Dans la volonté on considère seulement ou la faculté de s’unir à Dieu ou celle de réaliser en soi la forme la plus haute de l’humanité. Enfin, dans l’ordre esthétique, on s’arrête à la beauté que l’on trouve ou que l’on imagine dans l’être dont on a acquis la possession sexuelle. Ainsi l’idéal mystique du philosophe se limite à une des grandes divisions dont la réunion seule le constituait d’abord ; puis la limitation s’introduit, jusqu’à l’infini, dans chacune de ces divisions.

Le mysticisme existe aussi dans la plupart des religions positives, dans le christianisme, dans le bouddhisme, dans l’islamisme. L’idéal suprême, pour la première, comprend la Trinité dont on se représente la perfection, comme celle des trois hypostases plotiniennes, aussi complète que possible. On y joint les anges, les saints, la Vierge, dont la place varie dans le monde intelligible, avec les mérites que les générations diverses leur reconnaissent. Le mystique chrétien peut donc se proposer d’atteindre la plus grande ressemblance avec le Dieu triple et un dont l’image est en lui, comme dit souvent saint Augustin. Mais il peut prendre aussi pour idéal, le Fils, l’Esprit Saint ou la Vierge Marie, comme cela s’est produit et se produit encore dans le christianisme. Que si l’on se borne à Jésus, c’est, d’un côté, avec le Père et le Saint-Esprit, la suprême perfection, mais il est aussi le Fils de Marie et de Joseph, l’homme qui a vécu en Judée au milieu de ses apôtres et de ses disciples, celui qui a été arrêté, jugé et condamné, bafoué et flagellé, celui qui est mort en croix, dont les pieds et les mains furent troués par les clous et le côté percé par une lance. L’imitation du mystique portera sur le Jésus dont la haute moralité peut être constituée par les Évangiles, mais aussi sur le Jésus flagellé, sur le Jésus mort en croix, sur le Jésus aux stigmates, dont on arrivera bien plus aisément à reproduire les traits caractéristiques, sans être obligé de travailler à un perfectionnement personnel,