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parfois impossible, toujours difficile à réaliser. De ces imitations purement matérielles, le docteur Thulié nous fournit des exemples aussi nombreux que concluants. On ne s’est pas arrêté d’ailleurs dans cette voie historique, on a considéré les parties du corps de Jésus dont il n’est pas question dans les Évangiles et le docteur Thulié abonde encore, sur ce point, en faits caractéristiques dont on ne saurait nier l’exactitude. Avec l’imitation de la Vierge, on ira plus loin peut-être dans les considérations d’ordre matériel et physique.

Les moyens par lesquels se prépare l’union avec Dieu présentent des déviations bien plus grandes encore. Même quand le mystique veut posséder l’absolue perfection, il ne la cherche plus uniquement dans le progrès de ses facultés naturelles. Sans doute la préparation par la recherche de la science, de la vertu, de la beauté, continue d’intervenir comme cause coopérante, nous disent Jamblique et ses disciples, mais on recourt aux pratiques théurgiques par lesquelles on provoque l’intervention des dieux, qui nous attirent à eux, de sorte que l’union sera leur œuvre autant et plus peut-être que la nôtre. Dans ces pratiques entrent le choix des matériaux pour les temples et les statues, les prières et les sacrifices de tout genre.

Puis si l’on place la toute-puissance parmi les perfections divines, on est amené, à moins de faire appel comme Plotin au principe de perfection, à restreindre la liberté et le pouvoir de l’homme, même à les anéantir. Dieu est alors le seul auteur de l’union de l’âme avec lui : le ravissement, au sens énergique et primitif du mot (ἁρπαγέντα, raptum) devient, comme dans le cas de saint Paul, le moyen unique par lequel il nous arrache au monde sensible pour nous conduire au monde intelligible. Dieu, qui est tout-puissant, ne peut-il, à lui seul et sans notre aide, produire l’union que nous souhaitons ? Les causes conservées d’abord comme coopérantes ne peuvent-elles être laissées de côté, en tout ou en partie ? Même on les trouvera nuisibles, car elles peuvent nous égarer, nous perdre dans la recherche des connaissances qui n’ont pas un rapport direct avec le monde intelligible, dans la poursuite de la beauté naturelle, humaine ou artistique, dans la pratique des vertus individuelles et sociales qui nous détournent des vertus contemplatives ou seules propres à nous unir à Dieu.