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l’état sain ou morbide de l’organisme, par les aptitudes pratiques.

C’est ce que M. Th. Ribot a bien vu, dans la Psychologie de l’attention. L’extase suppose l’exaltation de l’intelligence ; c’est l’activité extrême de l’intelligence concentrée sur une idée unique. Mais elle ne peut transformer l’individu. Elle n’agit pas sur l’esprit borné et ignorant comme sur l’esprit très cultivé et de haute volée. Aussi M. Ribot distingue-t-il les mystiques chez qui l’événement intérieur consiste dans l’apparition d’une image maîtresse autour de laquelle tout rayonne (Passion, Nativité, Vierge) et qui se traduit par une suite régulière de mouvements et de discours, comme chez Marie de Moerl, Louise Lateau, l’extatique de Voray ; puis les grands mystiques dont l’esprit, après avoir traversé la région des nuages, atteint celle des idées pures. Volontiers, il opposerait le monoïdéisme, facile pour qui n’a que quelques idées ou même quelques images, au monoïdéisme qui s’attacherait à l’axiome éternel dont parle Taine, à la loi génératrice et suprême « du sein de laquelle on verrait se dérouler, par des canaux distincts et ramifiés, le torrent éternel des événements et la mer infinie des choses[1]. »

Complétons la distinction de M. Th. Ribot en faisant pour les autres facultés ce qu’il a fait pour l’intelligence ; l’extase agit différemment sur l’individu complètement formé et sur celui qui, en tout sens, est resté étranger à tout développement personnel.

Voici d’abord l’idéal le plus élevé pour l’homme : acquérir toute la science, la vérité intégrale, celle que nos prédécesseurs ont possédée et celle qui reste encore à atteindre ; réaliser toutes les vertus pour approcher du Bien souverain ; s’élever des beaux êtres, des belles choses et des belles œuvres à la Beauté suprême ; poursuivre avec toute son intelligence et sa sensibilité, par toute sa volonté, la perfection que cherchent à réaliser le savant, l’artiste, l’homme épris de moralité ; indiquer aux autres les solutions les plus sages et les voies les plus sûres pour l’activité pratique, voilà le but que se propose l’homme vraiment homme. Le mystique va plus loin. Il poursuit la perfection suprême qui dépasse et explique ce qu’il y a de meilleur dans le monde de la vie, de la pensée, de l’art et de la morale, dans le monde de l’observation et de l’expérience, dans

  1. Th. Ribot, La Psychologie de l’Attention, ch. iii ; Taine, Les philosophes classiques du XIXe siècle en France, ch. xiv.