c’est pour arriver et non pour faire voir en marchant sa grâce et sa souplesse. En un mot, et jusque dans ses Principes, Ricardo écrit sous la dictée des événements et en vue d’un progrès réel, palpable. Aussi ses œuvres reflètent-elles fort nettement les agitations de son époque, et serait-il impossible d’en bien saisir la portée si on ne les encadrait pas dans un exposé à la fois économique et politique des temps où il vécut. Sa vie est tout entière dans ses écrits ; mais ces écrits se relient si intimement au mouvement général de la société anglaise et embrassent tant de problèmes divers, banques, salaires, emprunts, impôts, protection, commerce intérieur, profits, machines, que, pour les comprendre, il est nécessaire d’évoquer, dans un vaste ensemble, tous les souvenirs de son époque. — À la grandeur des faits on mesurera la grandeur des idées et tout naturellement celle de l’écrivain.
L’histoire de l’Angleterre, pendant ce long chaos d’où surgit le dix-neuvième siècle, et, avec lui, le monde moderne, peut être parfaitement symbolisée par deux métaux : — le fer et l’or. L’un arma son bras pour frapper, l’autre circula comme une sève généreuse dans les veines de son industrie, s’accumula dans l’immense réservoir de l’Échiquier, et, s’épanchant sur le continent, suffit à commanditer la guerre et à abattre un grand peuple qui servait de piédestal à un grand homme.
Toute la puissance de l’Angleterre sembla se concentrer, en effet, de 1793 à 1815, sur une seule œuvre, un seul résultat : l’abaissement de la France, le refoulement des idées démocratiques qui, tantôt couvertes du voile lugubre de l’échafaud, tantôt pavoisées de nos éclatantes couleurs, couraient comme un frisson sur tous les esprits, organisaient l’Irlande en bataillons révolutionnaires, et empruntaient l’éloquence brûlante de Fox pour signifier à l’aristocratie sa condamnation et sa déchéance. Dès le jour où la France publia son programme d’égalité et revendiqua, en face de l’Europe, scandalisée de tant d’impertinence, l’insigne honneur pour chaque peuple de se gouverner lui-même et de distribuer équitablement sa richesse ; dès le jour où l’essai d’une société libre se fit ainsi à haute et intelligible voix, il y eut comme une propagande permanente de nos idées, propagande d’autant plus irrésistible, qu’elle se faisait à coups de canon lorsque la plume et la parole ne suffisaient pas.
Or, l’Angleterre d’alors, qui diffère de celle de nos jours, comme le passé de l’avenir, comme la caducité de la virilité ; l’Angleterre de Pitt et de Castlereagh qui demeure séparée de celle de Grey, de Peel et de Cobden par l’épaisseur de vingt réformes égales à vingt siècles, devait être la première à redouter le rayonnement des idées françaises.
Par la forme représentative de son gouvernement, elle tenait à la démocratie autant qu’à l’aristocratie : elle sentait qu’elle avait déjà un pied dans ce qu’elle appelait l’abîme révolutionnaire, et elle n’y voulait pas mettre