Page:Ricardo - Œuvres complètes, Collection des principaux économistes,13.djvu/126

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pide de capital. Dans les pays riches, où toutes les terres fertiles ont été déjà mises en culture, le dernier remède n’est ni très-praticable ni très-désirable, car le résultat serait, au bout de quelque temps, de réduire toutes les classes de la société à la même indigence. Mais dans ces contrées pauvres, où existent d’immenses moyens de production, enfouis dans des terres fertiles et incultes, l’augmentation du capital est le seul moyen efficace et sûr de combattre le mal, car il en résultera dans la situation de toutes les classes de la société une amélioration sensible.

Tous les amis de l’humanité doivent désirer que les classes laborieuses cherchent partout le bien-être, les jouissances légitimes, et soient poussées, par tous les moyens légaux, à les acquérir. On ne saurait opposer un meilleur frein à une population exubérante. Dans les pays où les classes pauvres ont le moins de besoins, et, se contentent de la plus chétive subsistance, les populations sont soumises aux misères et aux vicissitudes les plus terribles. Elles n’ont aucun abri contre les calamités sociales : elles ne sauraient chercher un refuge dans une situation plus humble : elles sont déjà si abaissées, si malheureuses, qu’il ne leur reste même plus la triste faculté de descendre encore. Elles ne peuvent remplacer que par de rares succédanés leurs aliments ordinaires et principaux, et la disette entraîne pour elles presque tous les maux attachés à la famine[1].

  1. Ces tristes paroles semblent une prophétie. On dirait que Ricardo sentait déjà frémir ces bandes affamées d’Irlandais qui cherchent aujourd’hui, les armes à la main, le désespoir au cœur, une nourriture que les saisons leur ont refusée. C’est qu’il s’est fait dans la malheureuse Erin un partage étonnant des joies et des douleurs, de la disette et de l’abondance : à ceux qui creusent le sol, le fertilisent, l’inondent de sueur, ont été dévolues les tortures de la misère ; à ceux qui épuisent la terre avec leurs meutes de chasse, et boivent des moissons entières dans leur coupe de Tokay ou de Johannisberg, ont été répartis les revenus, et partant l’éclat, et partant la puissance. La richesse y ressemble donc à un beau fleuve qui aurait sa source en Irlande, et son embouchure en Angleterre : on sème à Dublin, et on récolte à Londres ; de telle sorte qu’il ne s’y amasse pas de grands capitaux, et que l’industrie n’y peut naître pour donner du travail, des salaires à des millions de bras qui se disputent le sol. On peut même dire que, grâce à l’avidité des middlemen, — ce crible vivant où se dépose une grande portion des ressources du pays, en passant de l’humble cultivateur à l’opulent seigneur, — grâce, encore, à la concurrence acharnée que se font les fermiers, et au morcellement infini des domaines, l’agriculture est plutôt une lutte de paysan à paysan qu’un travail régulier et social. Au haut de l’échelle se trouve le propriétaire qui hérite des bénéfices de cette folle enchère ; au bas, le cottager sur qui elle pèse