Page:Ricardo - Œuvres complètes, Collection des principaux économistes,13.djvu/127

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Dans la marche naturelle des sociétés, les salaires tendront à baisser en tant qu’ils seront réglés par l’offre et la demande ; car le nombre

    d’un poids écrasant. En effet, pour payer son fermage, celui-ci consacre la plus grande partie de son travail et de ses efforts à de larges étendues de terrain qu’il couvre de blé, et ne se réserve qu’un champ limité où croissent, quand Dieu le permet, les pommes de terre qui composent son unique ressource. Vienne une année où la terre, frappée de stérilité, ne donne que de rares épis, et le pauvre Irlandais, impuissant à assouvir le middleman expie, par la contrainte par corps ou le bannissement, les caprices de l’atmosphère ; vienne une autre année où ce sont les pommes de terre qui manquent, et il se trouve atteint dans son existence même. Son propriétaire est payé, et peut aller commanditer les coulisses de Covent-Garden et les courses d’Epsom ; mais il lui faut, à lui, subir toutes les souffrances de la faim, à moins de courir les coupables et tristes hasards de la révolte, de la vengeance, de l’homicide. Il y a quelques mois, en effet, un seul propriétaire expulsait de ses domaines des centaines de malheureux cottagers, avec le même sang-froid que mit Caton à vider ses ergastules, et que mettent nos maquignons à vider leurs écuries. De plus, nous pouvons assister de loin au drame lugubre qui se joue en Irlande, à coups de fusils, de haches, de faux, drame qui nous reporte aux jours terribles du White-Boysm. Il y a donc ici plus qu’un mauvais système d’agriculture, il y a un vice social manifeste, criant ; et s’il est important, comme le dit Ricardo, pour une nation, de ne pas placer la sécurité de ses approvisionnements dans une seule plante, de ne pas jouer son existence sur une seule carte, il est plus important encore de ne pas concentrer toutes les forces du pays sur une seule industrie. Il arrive en effet alors, qu’aux époques où cette industrie languit, la vie s’arrête dans le corps social tout entier, et qu’il ne s’ouvre pas dans les autres fonctions de refuge pour les bras inoccupés. Ce qui a sauvé tant de fois l’Angleterre du désespoir des comtés agricoles, ce n’a pas été la pâle charité des hauts-barons distributeurs de cuillers de bois et de soupes économiques, mais bien les comtés manufacturiers. La mule-jenny est ainsi venue au secours de la charrue, et l’industrie manufacturière a alimenté des légions de cultivateurs, comme une généreuse nourrice qui prête le sein à un enfant étranger. Or, l’Irlande n’a pas de mule-jennys, pas de capitaux : tous les bras sont tendus vers le sol qu’on appauvrit par une subdivision extrême. Aussi, ou aura beau encourager, comme le veut l’auteur, tous les Irlandais à multiplier leurs jouissances et leur bien-être, si la constitution économique les pousse à s’arracher des lambeaux de terre et à se créer, pour toute existence, une auge de quelques toises remplies de pommes de terre ; si l’épargne est impossible et avec elle les capitaux, les progrès, ils devront se résigner à tourner éternellement dans ce cercle fatal de la misère, de la faim, du crime. Rien de plus facile que de désirer le bien-être, et il n’est pas d’homme, fût-il le plus intraitable des ascètes, qui n’y aspire perpétuellement : mais lorsque ces désirs se brisent contre des vices fondamentaux, il faut bien se résigner à n’y voir qu’une bien faible ressource pour des populations. Soyez sûr que l’Irlandais désire et que le cri du Rappel est le cri de la faim, de la chair qui se révolte, plutôt qu’un cri religieux ou politique. Seulement, le réseau des middlemen, des absentéistes, des orangistes,