Page:Ricardo - Œuvres complètes, Collection des principaux économistes,13.djvu/242

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pres desseins, en faisant d’abord monter le prix des subsistances, afin d’en diminuer la consommation, et en faisant ensuite hausser les salaires pour fournir au travailleur le même approvisionnement qu’auparavant[1]

  1. Rien de plus vrai que le contraste offert par le renchérissement des subsistances, et la dégradation des salaires, aux époques de disette. C’est qu’en effet la lutte se trouve alors engagée entre deux faits bien distincts : un fait naturel, physique, qui est la végétation ; un fait social, qui est l’offre et la demande des bras : — le premier frappant comme la foudre, le second ne pouvant subir que des transformations lentes, du moins quand ces transformations ne sont pas précipitées, aggravées par les crises de l’industrie, du commerce ou de l’agriculture. Un mois suffit, en effet, pour dessécher la racine des plantes, et frapper de mort les ressources agricoles de tout un pays ; mais il faut des années quand il ne faut pas des siècles pour accroître avec l’industrie la valeur du travail. Un mois suffit pour tripler le prix du blé, mais pour tripler des salaires, il faut de grands efforts, suivis de grands succès. À n’étudier, donc, que les phénomènes économiques d’un petit nombre d’années, l’ascension du prix des subsistances sera, comme le dit M. Buchanan, contemporaine de l’abaissement des salaires ; mais si, élargissant l’horizon, on surveille la marche séculaire du travail, à travers les oscillations infinies et infiniment douloureuses qu’il éprouve, on découvre que sa valeur s’est accrue constamment, et que la même somme d’efforts donne aujourd’hui à l’ouvrier une somme de bien-être, de jouissances bien plus considérables que du temps de la reine Berthe, du roi Arthur ou des Pharaons. Les ognons d’Égypte, le pain noir des Ergastules, les maigres deniers qu’on donnait aux ouvriers du moyen-âge, sont devenus des salaires de 3 à 4 francs ou schillings, et la scène attristée de l’esclavage antique, ou du servage féodal s’est illuminée aux reflets de cette lampe merveilleuse qui est la liberté de penser, de dire et d’agir. Si bien que demain, peut-être, les salaires baisseront dans un pays, pour se relever, après-demain, et puis tomber encore ; mais nous certifions que dans un siècle ils auront définitivement haussé.
    Tout ce que nous pouvons concéder à M. Buchanan, c’est que les travailleurs ne, marchent pas vers le bien-être, comme une flèche vole au but, sans détours, sans déviations : ils y vont à travers mille obstacles, mille sinuosités, mais en réalité, ils y vont.
    Et d’ailleurs, nous ne voyons pas ce que la nature a à faire dans la fixation du taux des subsistances, et en quoi la Providence se mêle de rédiger les tarifs de la Halle ou de Mark-Lane. Nous ne voyons pas surtout en quoi, comme le veut M. Buchanan, comme le prétend Ricardo : Dieu contrarierait ses propres desseins en permettant aux salaires de s’élever dans le rapport du renchérissement des subsistances. Les desseins de Dieu, en couvrant la terre de générations vivantes, n’ont pas été de les affamer ou de les étouffer dans les étaux d’un syllogisme économique. En créant l’homme, il lui a légué la terre pour nourrice, comme en créant l’enfant il a gonflé le sein des mères. Si maintenant les moissons se flétrissent, si les plantes meurent frappées d’innombrables fléaux, si le lait manque aux faibles, et le pain aux forts, il faut voir dans ces faits redou-