Page:Ricardo - Œuvres complètes, Collection des principaux économistes,13.djvu/37

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voir que les billets ne portent pas tous la même effigie ; et, redoutant l’imprévoyance des directeurs de Banque, on a voulu leur substituer le ministre des finances — qui, on le sait, est toujours un être infaillible. Eh bien ! nous déclarons ces craintes frivoles et ces illusions sur les gouvernements on ne peut plus dangereuses. On aura beau entasser faillites sur faillites, additionner le passif des Banques américaines avec le passif des Banques d’Écosse, d’Angleterre, d’Irlande et de Hollande, on n’arrivera jamais à la centième partie des désastres que l’omni-sapience des trésoriers nationaux a accumulés sur les peuples, en tous temps, en tous lieux. La banque fantastique de Law, qui traversa comme un météore enflammé le système financier de la France, n’était pas à coup sûr une Banque privée ; les billets de la Banque d’Autriche, les roubles papier de Saint-Pétersbourg, les milreas du Brésil, les dollars de Buenos-Ayres qui, de chute en chute, tombèrent de 4 sh, 6 d. à 3 d., tout ce papier-monnaie, avili, conspué, ne sortait pas, que nous sachions, d’une Banque par actions, et il se pourrait que les assignats de la Révolution ne fussent pas l’idéal d’une circulation économique et sûre, pour nous servir des termes de Ricardo. Jusqu’à ce qu’il nous ait été bien démontré que les gouvernements réunissent à la science profonde des affaires, à l’ubiquité nécessaire pour suivre les incidents multiples des changes, des marchés, des contrats, une économie à toute épreuve, une indicible horreur pour tout ce qui ressemble à des embellissements coûteux, à des conquêtes ruineuses, à des faveurs octroyées aux amés et féaux ; jusqu’à ce qu’il nous ait été bien démontré qu’ils n’ont jamais compromis l’avenir par des dilapidations, jamais usé des moyens les plus violents, parfois les plus infâmes, pour solder des guerres iniques, enfin qu’ils joignent à toutes les qualités, d’autres qualités encore, nous persisterons à ne pas leur confier un monopole aussi dangereux que celui du crédit. Jamais peut-être on n’aurait armé le pouvoir d’une arme plus terrible et plus séduisante ; et il semble, à voir tant de confiance, que les mots de vénalité, de gratifications, de corruption, soient des entités que notre monde n’a jamais réalisées.

Et qu’on ne parle pas de limites imposées par la volonté, l’influence législative ; nous savons ce que pèsent ces choses devant un caprice de conquérant ou une colère d’homme d’État. Déjà les budgets, avec leurs cadres sévères, ont pris l’élasticité des vieux acquits au comptant, et par des crédits supplémentaires, des ordonnances faites à propos, l’on est parvenu à créer, sous les apparences les plus légales, un budget de fantaisie, une sorte d’en cas ministériel servant aux menus plaisirs des fidèles. Que serait-ce le jour où les gouvernements pourraient fabriquer les billets de Banque à la continue ! Les émissions prendraient un développement exorbitant, elles pleuvraient à titres divers, et l’on ne redouterait plus de franchir toutes les bornes, car l’actionnaire véritable d’une Banque nationale serait le pays tout entier, — et le pays est toujours assez riche pour payer ses billets.